
Etoile montante de la Course Landaise, promis à un avenir glorieux, l’écarteur montois fut l’un des grands et jeunes martyrs de notre sport à la fin du 19e siècle.
Alexandre voit le jour à Mont-de-Marsan le 7 janvier 1874. Il est le fils d’un carrier, et peut-être parent d’un teneur de corde qui officie dans les années 1870-1890 au sein du troupeau Lagardère. Ses parents le placent très jeune comme vacher, et il se familiarise alors avec les coursières en les accompagnant à pied pour les courses de village. Il échappe au service militaire en bénéficiant d’une exemption sans que l’on en connaisse la raison.
Des débuts chaotiques mais prometteurs
A l’âge de 14 ans à peine, il effectue ses premiers écarts à l’occasion de « novilladas », ces courses landaises mixtes où les amateurs pouvaient commencer à briller et où il récolte ses premiers lauriers. Deux ans plus tard, on le retrouve devant les redoutables pensionnaires du ganadère de seconde Moncoucut-Gaillat, de Geaune, à qui il dessine de remarquables figures. Il s’affirme alors comme l’un des jeunes les plus prometteurs de sa génération.
Sa première prestation officielle, dans les arènes de Morlaàs, lui vaut une première et grave blessure : deux cotes enfoncées qui l’immobilisent pendant plusieurs semaines sur un lit d’hôpital. Mais ce premier échec ne le fait pas renoncer à sa vocation, comme d’ailleurs les tumades qu’il doit régulièrement subir.
En effet, le désir de bien faire ne manqua pas de lui occasionner d’autres contusions plus ou moins sérieuse. Il se trouve ainsi blessé à la main en mars 1892, lors de la première et très mouvementée course de l’année dans les arènes du Plumaçon, à Mont-de-Marsan. Il l’est beaucoup plus sérieusement l’année suivante à la même date et dans la même plaza, à l’occasion du grand concours tauromachique, où l’on doit l’évacuer sur l’hôpital mais remporte quand même le 9e prix de 25 francs. Il écarte à cette époque-là les pensionnaires de l’entente Baccarisse-Lagardère.
En 1894, il rejoint l’équipe de Bellocq, où il peut se perfectionner grâce aux conseils avisés d’écarteurs confirmés. Il affronte alors le rude bétail de Joseph Barrère, et gagne quelques galons. En mai, il termine ainsi 2e exæquo avec son chef aux grandes courses de Langon, juste derrière Martin II. L’année suivante, au début du mois de mars, il est au paséo de la première course de la saison, à Gabarret, où il fait déjà partie des écarteurs les plus renommés. Il se classe de nouveau 2e ex-æquo, mais avec Naves cette fois-ci et derrière Lafau, à l’issue des deux grandes journées de courses des fêtes de Pouydesseaux. Il brille également cette année-là à Orthez, toujours devant
Les 24 et 25 mai 1896, il participe aux grandes fêtes de bienfaisance organisées par la Société des Fêtes de Charité de Niort, dans les Deux-Sèvres. La cuadrilla est formée de 12 acteurs, dont plusieurs vedettes (Lacau, Casino, Mouchez, Kroumir, Bras-de-Fer, Naves, Laffau, Lapaloque, le sauteur Kroumir III) et le célèbre Louisotte, dit « Mamousse », au bout de la ficelle. Alexandre Baillet y arbore un veston et un maillot violets ainsi qu’un béret rouge et or. Les vaches sont celles de Joseph Barrère, qui a aussi fait faire le voyage à son taureau Golondrino. Après avoir obtenu un vif succès le dimanche, il subit de nouveau une rude tumade et reçoit un coup de corne au côté gauche qui nécessite les soins d’un docteur local. Par bonheur, la contusion est peu profonde.
Cela ne l’empêche pas de revenir dans la piste au mois d’août et de briller notamment lors des courses de Peyrehorade, où il empoche le deuxième prix de 200 francs derrière Laffau et devant 14 de ses collègues présents. Il participe également à quelques courses hispano-landaises, toujours en vogue à l’époque, comme celles qui sont organisées à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, en octobre 1896. A cette occasion, la première vache lui inflige un coup de corne au cou, mais heureusement sans gravité.
La course tragique de Bazas
Ce sont justement des courses hispano-landaises qui sont programmées en juin 1897 à Bazas, à l’occasion des traditionnelles fêtes de la Saint Jean. Elles sont dirigées par le matador français, l’ancien écarteur de Meilhan, Félix Robert. Cette vedette partage l’affiche avec deux banderilleros madrilènes, Juan Alarcon Mazzantinito, et Manuel Izquierdo Morenito, et un Landais, Auguste Nassiet. La cuadrilla landaise est composée des écarteurs Bellocq, Daudigeos, Laffau, Naves, Baillet, Mouchez, Lapaloque, Mathieu, et Bras-de Fer, ainsi que du sauteur Auguste Nassiet. Le teneur de corde est le fidèle Joseph Mamousse, dit Louisot, attaché depuis plusieurs années à la ganaderia Barrère.
Le 24 juin 1897, toutes les conditions sont réunies pour que le spectacle soit superbe. Le soleil brille, la foule qui se presse sur les gradins est impressionnante, et les vaches du châtelain de Buros se montrent « ardentes, mais peut-être trop entraînées ». Tous les écarteurs font preuve, comme à l’accoutumée, d’un grand courage, mais soudain arrive l’accident. Alexandre Baillet, après avoir exécuté un écart classique à la troisième sortie, se fait rejoindre par la vache qui lui inflige un violent coup de corne dans les côtes et à la base du crâne. On l’emporte immédiatement dans une auberge voisine, où il reçoit les premiers soins des docteurs Mivielle et Castets, médecins à Bazas et à Langon, ainsi que les derniers sacrements. Il est ensuite transféré à l’hospice municipal, où l’on diagnostique une fracture des cinquième et sixième côtes, du côté droit, mais surtout une perforation de la boîte crânienne avec de sérieuses lésions du côté du cervelet. Malgré son état jugé désespéré, il est soigné pendant plusieurs jours par les bonnes sœurs de charité. La presse locale, qui suit l’évolution des choses, mentionne en outre que Baillet se serait marié depuis deux semaines seulement, information dont elle ne garantit pas l’authenticité et dont je n’ai trouvé aucune trace jusqu’à maintenant.
Après de très longues souffrances, il décède dans cet établissement hospitalier le lundi 5 juillet, dans les bras de sa mère qui l’y avait rejoint. Ses obsèques ont lieu à Bazas le mercredi suivant. Sur le cercueil, deux couronnes avaient été déposées : l’une offerte par le Comité local des courses ; la seconde par Joseph Barrère et Félix Robert. Une troisième couronne offerte par la cuadrilla landaise fut déposée sur sa tombe. Son ami l’écarteur Joseph Naves, tenait l’un des cordons du poêle.
Il reste encore un mystère, celui de la vache qui infligea sa blessure mortelle au jeune Alexandre Baillet. D’après la presse bazadaise, mais qui n’était pas très familière de nos coursières, il s’agissait d’une certaine Maravilla. Pour Clic-Clac, qui vivait à l’époque de ce drame et connaissait toutes les vaches de Barrère, la coupable se nommait Moulinera, ce qui semble très plausible.
Enfin, un dernier nom est apparu dans un texte littéraire écrit 15 ans plus tard par Joseph de Pesquidoux sous le titre « La course landaise » et publié dans son livre Chez nous. Travaux et jeux rustiques. Il y évoque l’une des terreurs de nos écarteurs d’alors, la tueuse Caracola, déjà responsable de la mort de deux acteurs à l’époque de Baillet, et qui s’était fait une spécialité de foncer sur les hommes en zigzagant…. Elle perça beaucoup d’acteurs, et seul Marin osait l’écarter avant que Barrère ne la présente plus, faute de combattants pour l’affronter. D’après Pesquidoux, c’était bien elle qui avait causé la mort de Baillet, et il en voulait pour preuve que « le père de Baillet, un an après la mort de son fils, vint la voir courir. Descendu derrière la talenquère, il se trouva en face d’elle, qui rôdait autour de l’arène vide. Elle leva vers lui la tête. « Ah ! dit-il, que m’as béroï bién tuat lou drolo… » Tu m’as joliment bien tué le fils. Et il fondit en larmes… »
Article paru dans la Cazérienne, n° 204, février 1924





