Courses landaises… ou espagnoles ?

Cette carte-photo que j’ai trouvée présente un double intérêt. En premier lieu, il faut dire que cette image est connue, car elle a servi au moins pour deux cartes postales imprimées, mais avec deux légendes différentes. L’une est intitulée: « Mont-de-Marsan. Courses espagnoles »; et l’autre: « 210. Aux arènes montoises. Courses landaises. L’entrée ». Ces 3 documents ont été réalisés à partir du même cliché, mais celui-ci a été coupé vers la droite sur cette carte-photo (après le picador) et non sur les cartes postales dont je publie l’une d’elles ci-dessous. Au contraire, on voit le haut des arènes et leur décoration sur la photo, mais pas sur les cartes postales.

Alors, courses espagnoles ou landaises? Eh bien, les deux mon général, puisqu’il s’agissait en l’occurrence de courses hispano-landaises que je vous ai présentées à plusieurs reprises sur ce blog. L’autre intérêt de ce document est qu’il nous donne une date, celle de 1903, ce qui nous permet maintenant de dater nos autres documents.


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Les courses hispano-landaises à Pomarez

A la grande époque des courses hispano-landaises, que j’ai évoquées dans le n° 176 de La Cazérienne de juin 2019 et dans un article de ce blog (https://patrimoinecourselandaise.org/2018/02/10/les-courses-hispano-landaises-1/ ), Pomarez a été l’une des plazas qui en a accueilli plusieurs. Voici certainement l’une des plus vieilles affiches concernant ce type de spectacle dans « La Mecque » des courses landaises. Elle concerne les courses des 13 et 14 août 1899 et est conservée aux Archives départementales des Landes sous la cote 4 M 120. La partie des « courses espagnoles » était assurée par la cuadrilla du grand matador-écarteur-ganadero landais Félix Robert; quant à celle des courses landaises, on note seulement que le bétail provenait de sa propre ganaderia et de celle de Lagardère. Le nom des écarteurs n’est pas cité, mais les frères Nassiet ne devaient pas être loin.

Des courses à… Moissac en 1896

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Dans la série « Nos Landais s’exportaient bien »…. On le sait peu, mais le Tarn-et-Garonne fut un temps une terre taurine. La ville de Moissac, célèbre par son abbaye romane, connut en particulier plusieurs courses hispano-landaises. Voici, grâce au fouineur Christian Capdegelle, la relation de celles qui s’y déroulèrent au mois d’octobre 1896. Je n’ai retenu que les passages concernant notre sport landais, mais l’ami Christian a en archives le compte-rendu intégral de la partie corrida, menée en particulier par Félix Robert.
« Moissac. – Les courses de taureaux. – Dimanche, à l’occasion de la première journée des courses de taureaux, spectacle des plus rares dans la région, nous avons eu dans nos arènes moissagaises une énorme affluence d’étrangers. (…) A 2 heures a eu lieu la promenade en ville des matadors, écarteurs, banderilleros et toreros. Malgré un orage, suivi d’un peu de grêle, qui a éclaté avec du tonnerre de 11 heures à midi, le terrain de la place des Récollets était très propice pour les courses.
A 3 h. 5, toute la troupe fait son entrée dans l’arène et vient saluer M. le maire, suivant l’usage.
Les courses landaises ont été bien menées et s’il y a eu quelques vaches un peu paresseuses, en revanche d’autres ont été très agiles et marchaient avec un grand entrain.
A l’apparition de la première vache et au premier écart qui a été fait, le sieur Mathieu [Mathieu Banquel] a été frappé à la joue, pas trop sérieusement, car il a continué ses exercices et a donné une juste idée de son travail de hardiesse qui mérite des compliments. Les écarteurs Nassiet et Bellocq ont fait un travail remarquable avec des écarts et des sauts, des vaches qui étaient des plus téméraires ; les écarteurs étaient bien secondés par leurs confrères et par le teneur de corde Louisat [en fait Louis Mamousse, dit Louisot ou encore Mamousse].
Les artistes de M. Barrère, comme son troupeau, méritent la réputation qu’ils ont. Après la surséance a lieu la course aux taureaux. (L’Express du Midi, mercredi 14 octobre 1896) ».

« Moissac. – Courses de taureaux. – On lit dans le Ralliement de Montauban :
Moins belle que celle  du dimanche précédent, la journée d’hier avait attiré une moindre affluence à nos courses. Cependant les étrangers y étaient encore nombreux. Est-ce qu’ils se passionnent pour ce spectacle ? Nous croyons plutôt qu’ils y viennent poussés par la curiosité. Quoi qu’il en soit, voici ce qui s’est passé, en une éclaircie, dans notre arène.
Courses landaises. – Toujours un peu pâles comme mises en scène, en dépit de l’habileté des écarteurs. Baillet, Nassiet, Lafon [pour Laffau ?], Barthélémy, Marin II, Daudigeos, Belloc ont été téméraires jusqu’à la folie et leurs écarts et leurs sauts ont à plusieurs reprises provoqué les applaudissements du public. Baillet a reçu de la première vache, un coup de corne au cou, mais la blessure est sans gravité. En somme, bonne course ; mais, je le répète, un peu trop grise par un temps qui ne l’était pas moins. (L’Express du Midi, mardi 20 et mercredi 21 octobre 1896)

Les courses à Bordeaux en 1872 (2)

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Je vous l’avais promis, et je tiens cette promesse ! Voici donc le compte-rendu de cette joute entre Landais et Espagnols, certainement l’une des premières de ces courses hispano-landaises qui deviendront très à la mode deux décennies plus tard. Et bien sûr, l’on y voit ce furent les Landais qui tirèrent largement leur épingle du jeu… A noter, au passage, la très bonne analyse du chroniqueur sur la différence entre bêtes espagnoles et landaises. On trouve cet article toujours dans La Petite Gironde, le 8 juin 1872 :

« Hier, aux Arènes-Landaises, il y avait moins de monde que dimanche ; on peut cependant évaluer à quatre mille le nombre des curieux. La journée a été fort triste : un accident est arrivé et les courses n’ont, rien valu : les banderilleros manquaient de sang-froid, et l’écarteur landais Tegnest a été fortement blessé. Nous n’hésitons pas à rendre le public responsable de ce regrettable accident ; ses exigences irréfléchies en sont la cause. Une seule chose peut lui servir d’excuse : son inexpérience des courses. Nous y reviendrons, mais procédons par ordre :
Les Espagnols ont d’abord fait une entrée assez grotesque; leurs costumes étaient non seulement fanés, mais sales ; leurs capas étaient de véritables guenilles. Trois cavaliers formaient la tête du cortège; ils étaient suivis de quatre pages, six lanceros et six banderilleros qui, seuls, sont demeurés dans l’arène.
Lorsque ces gens-là se sont trouvés en présence des taureaux landais, ils ont perdu, non leurs jambes, mais leur sang-froid. Grande, en effet, est la différence entre le fougueux taureau des ganaderias espagnoles qui n’a jamais couru et celui qui est rompu aux courses landaises : le premier, aveuglé par la colère, court en ligne droite sur la capa ; son élan est si fort, qu’il passe à côté du banderillero qu’il effleure, sans pouvoir modérer la rapidité de sa course et se détourner de la ligne droite. Autres sont les habitudes du taureau landais ; par suite de la fréquentation des arènes, il devient plus circonspect, plus dangereux, plus avare de courses irréfléchies ; il ne court plus sur l’homme que si ce dernier est décidé à l’attendre de pied ferme, « à 15, 20, 30 mètres de distance au plus ; » on est obligé d’employer la ruse (par exemple l’emmener dans un coin de l’arène) pour le faire partir de plus loin. Sauf de rares exceptions, sa course n’est jamais en ligne droite; même en courant, sa tête suit toujours les mouvements de l’écarteur ; ajoutons qu’il s’arrête court lorsqu’il arrive au but ; il fait plus : il se retourne brusquement et il se précipite de nouveau sur l’homme qui, ne se trouvant plus qu’à un pas des cornes, serait presque toujours pris sans le secours de la corde. Avec de pareils animaux, on s’explique donc l’utilité de cette dernière; elle est destinée à préserver l’écarteur de ce qu’on appelle « le second coup de tête ».
En présence donc de taureaux qui ne partaient pas franchement, les Espagnols, déconcertés, ont dû renoncer au simulacre de tuer le taureau ; ils n’approchaient même qu’en hésitant, pour lancer leurs capas et s’enfuir aussitôt ; s’ils plantaient des cocardes et des banderilles, ce n’était non plus qu’en courant et en coupant perpendiculairement la ligue suivie par le taureau ; en termes de courses, c’est ce qu’on appelle « écarter au coupé » ; ce genre d’écart, sans danger, est peu gracieux ; sur les arènes landaises, il n’est toléré que pour les novices. Les bêtes, de leur côté, voyant ces gens-là se tenir à distance, demeuraient longtemps sans bouger de place ; souvent même elles refusaient absolument de sortir du toril.
Le public, impatienté d’assister a un spectacle si peu récréatif, s’est mis à murmurer. Quelques cris : « Les Landais ! A la porte les Espagnols ! » se sont fait entendre. Pour le calmer, le banderillero Luis Aspiri a franchi deux fois une vache espagnole. Pour faire ce que l’écarteur Camiade avait exécuté dimanche sans nul secours, Aspiri s’est aidé d’une perche ; aussi, le public ne lui a-t-il pas tenu compte de sa tentative : les murmures ont redoublé ; les cris, les sifflets, les trépignements, disons plus : les hurlements étaient arrivés à leur paroxysme, et le directeur était sommé de faire apparaître les Landais, C’est alors que, pour complaire au public, et malgré le danger qu’il y a à écarter sans capa un taureau libre, l’écarteur Tegnest s’est dévoué. Son costume étant moins éclatant que ceux des Espagnols, pour attirer les regards du taureau, il a eu l’imprudence de se placer à quinze mètres environ de l’animal : le premier écart a été réussi, mais le second coup de tête l’a renversé.
En Espagne, comme dans le Gers et les Landes, il est d’usage que, lorsqu’un homme est pris,tous ceux qui se trouvent dans l’arène doivent courir sur le taureau pour le détourner ; ici, avant d’aller au secours de Tegnest, les Espagnols ont hésité, et ont ainsi laissé le temps au taureau de lui labourer le corps avec ses cornes. Ils avaient l’air presque satisfaits de l’accident.
La course s’est terminée aussi tristement qu’elle avait commencé; le public est parti fort mécontent ; mécontent aussi était le directeur des courses, d’avoir eu un homme blessé et un taureau écorné.
Dimanche prochain, courses landaises; espérons qu’elles ressembleront aux avant-dernières, et non à celles que nous venons de décrire. »

Don Tancredo !

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Certaines de nos courses landaises anciennes comportaient souvent comme intermède la présence d’un « Don Tancredo ».
Le Don Tancredo, ou la suerte de Don Tancredo était un jeu taurin qui connut un engouement certain dans la 1e moitié du 20e siècle. L’individu qui faisait le Don Tancredo, monté sur un piédestal situé au centre de la piste attendait le taureau à la sortie du toril. L’exécutant portait généralement des vêtements anciens ou comiques, et était vêtu et barbouillé complètement en blanc. Le jeu consistait à rester immobile, car l’on affirmait qu’en tel cas, le taureau croyait que la figure blanche était du marbre, et qu’il ne l’attaquait pas, convaincu de sa dureté.
Il semble bien qu’un torero espagnol peu fortuné, originaire de Valence, ayant pour nom Tancredo López, soit à l’origine de ce type de spectacle, et qu’il ait commencé à le faire comme un moyen désespéré de gagner de l’argent. Il le réalisa pour la première fois en Espagne en 1899. Le public fit un accueil enthousiaste à cette pratique, qui se développa peu à peu. Dans les années 1900, Tancredo López la présenta dans de nombreuses arènes françaises et espagnoles et fut surnommé « El rey del valor » (le roi du courage »). On le qualifia également d’ « hypnotiseur de toros » et les premières affiches annonçaient même pour chacune de ses actuations une « gran sesión de hipnotismo ».
Le Tancredo était souvent interprété par des personnes désespérées à la recherche d’argent facile et ayant peu à perdre, car les accidents étaient fréquents. C’est la raison pour laquelle les autorités l’interdirent progressivement, et les dernières représentations se déroulèrent vers le milieu du 20e siècle.
Picasso a représenté cette suerte en mai 1957 : c’est l’une des illustrations qu’il réalisa pour sa Tauromaquia, qui paraîtra en 1959.

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Voici deux représentations de cet intermède comique photographié lors d’une course landaise dans les anciennes arènes en bois de la Place Saint-Roch, à Mont-de-Marsan. Il semble que dans ce cas, l’homme-statue immobile n’intéressait absolument pas la vache.

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Un autre Don Tancredo, mais cette fois qualifié d’amateur, a été immortalisé dans les anciennes arènes en bois de Gabarret. Ici,  le face à face entre l’homme et la bête ressemble plutôt à un défi réciproque.

Si l’on regarde bien certaines cartes postales de paséos, on aperçoit parfois un mystérieux homme en blanc au milieu des écarteurs. Si l’on zoome sur lui, l’on découvre qu’il s’agit bel et bien d’un Don Tancredo dans sa plus belle candeur. Seule sa moustache n’a pas été blanchie…

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Cette suerte n’était pas de tout repos ! On en voit ici une version peu orthodoxe, où le Don Tancredo semble attendre la vache non pas debout tel une statue de marbre, mais assis sur son socle. Difficile pour lui d’hypnotiser la coursière dans cette position… Et le photographe a pu immortaliser l’instant fugitif immédiatement préalable à une rencontre frontale inévitable ! La scène se passait encore dans les nouvelles arènes de Mugron, où se produisait régulièrement l’un des rois de cet intermède, Bamboula, et où l’on semblait goûter fort ce genre d’exercice…

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Après Mugron, nous voici à Marciac, où Don Tancredo a particulièrement intéressé le photographe jusqu’à une sévère tumade…

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Une autre carte, assez rare, nous permet de découvrir d’une part les anciennes arènes en bois de Vic-Fezensac, et de l’autre une version très originale de la suerte de Don Tancredo. Contrairement à la tradition, « l’homme statue » n’est en effet pas costumé et grimé de blanc, mais il est vêtu d’un habit de torero. Il est vrai que nous étions là dans le cadre d’une corrida, et ce devait être tout simplement un des peones de la cuadrilla qui jouait à l’occasion ce rôle.

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Les Landes ne sont pas en reste. Nous avons déjà vu que Mugron goûtait ce type d’intermède. Voici une nouvelle image qui nous transporte les anciennes arènes d’Hagetmau. L’homme-statue est ici debout sur une chaise, mais la vache semble n’avoir d’yeux que pour l’écarteur qui la distrait près des barrières…

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L’une des vedettes de cette suerte était le dénommé Bamboula (François Garcia, dit), dont il nous reste un portrait saisi sur la piste.

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Si ce personnage qui meublait régulièrement les intermèdes des courses était généralement, comme on le voit, un fort gaillard, on en a connu une version féminine ! Voici la courageuse et souriante « Mlle Geneviève » qui accompagnait son matador de compagnon au nom assez étonnant de « Henriquès Rodès », dit Roderito. Ce dernier faisait d’ailleurs également « l’homme-statue » : j’ai retrouvé dans une gazette suisse (!!!) le compte-rendu d’une corrida donnée dans les arènes d’Avignon le 27 septembre 1908 au cours de laquelle  « Rodès Roderito » fut renversé de son piédestal et reçut plusieurs coups de corne au bas-ventre, blessures qui, heureusement, ne paraissaient pas mortelles…

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J’ai même trouvé une deuxième Doña Tancreda ! Cette « statue vivante », qui ma foi est face à une bête respectable et qui ne semble pas emboulée, a pour nom d’artiste « La reina del valor ». Et il lui en fallait certainement du courage pour affronter seule en piste et sans défense ce redoutable adversaire ! Je n’ai pas encore pu identifier cette reine, et peut-être d’ailleurs s’agit-il tout simplement de la charmante Mme Geneviève dont je viens de vous parler. Toujours est-il que cet intermède était donné lors d’une course dans des arènes qui ont disparu depuis longtemps et dans une ville qu’on a aujourd’hui du mal à considérer comme taurine, puisqu’il s’agit de Roubaix, dans le Nord. Et pourtant cette cité industrielle connut dès la fin du 19e siècle et jusqu’en 1914 plusieurs corridas dans son « torodrome » où les plus grands matadors se produisirent alors.

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Et une dernière pour la route… La profusion de ces images marque bien d’ailleurs l’engouement qu’il y avait pour cette suerte à l’époque. En fait, la légende de cette carte ne mentionne pas spécifiquement Don Tancredo, mais dans le « corps à corps » qu’elle y représente, on voit bien qu’il s’agit de notre Tancrède avec son costume blanc. Le lieu est inhabituel, puisque Montereau est une charmante commune du Loiret qui n’est pas vraiment réputée pour sa tradition tauromachique. Mais comme Montceau-les-Mines, Nantes, Roubaix ou encore Reims, elle fait partie de ces plazas qui accueillirent à l’occasion des courses hispano-landaises (ou même de véritables corridas) avant 1914. On voit d’ailleurs, dans l’angle droit, les acteurs portant le costume particulier de ce type de courses.

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