Il y a 100 ans, les premiers recortadores dans le Sud-Ouest ?

C’était programmé pour le dimanche 2 avril 1922, à 15h30, aux arènes bordelaises de la Benatte, au Bouscat. L’occasion en était l’ouverture de la saison tauromachique, et la presse annonçait pour cet événement « une course landaise d’un genre absolument inédit dans notre ville ». En fait si l’on lit bien l’article qui la présente, il ne s’agit effectivement pas d’une course hispano-landaise telle que notre Gascogne en connaissait depuis près d’un demi-siècle, mais d’un nouveau type de spectacle taurin.  Mais laissons la plume au journaliste du périodique sportif Le Ballon rond.

« En effet, non seulement le bétail sera travaillé d’une manière nouvelle – c’est-à-dire que la bête sera libre et non emboulée – mais il est entièrement d’origine espagnole et provient de l’élevage de Zalduendo de Navarre, mais encore, ce seront en majeure partie des toreros espagnols et portugais, avec seulement 2 ou 3 écarteurs landais qui l’affronteront sous les ordres du chef de cuadrilla Francisco Pinturas.
Nul doute que ce spectacle entièrement nouveau pour les aficionados bordelais n’obtienne un remarquable succès.
A noter que les toreros se présenteront costumés à l’espagnole. »

Malheureusement, la pluie força les organisateurs à reporter cette course au dimanche suivant, 9 avril. Dans l’article qui fait état de ce report, le journaliste Raymond Massoutier revient sur l’originalité de ce spectacle :

« Les vaches, de provenance espagnole, seront travaillées cornes nues et sans corde. Le jeu spécial des Espagnols transformés en écarteurs landais ne manquera pas d’intéresser le public bordelais. Très courageux, travailleurs, ces toréadors se présentent crânement devant la bête, l’attaquant dans tous les terrains et font l’impossible pour satisfaire les aficionados. Leurs feintes et quiebros sont très serrés, les cornes frôlent constamment la poitrine, l’exposant ainsi à de graves cogidas. Le jeu landais, bien tombé, va peut-être connaître une nouvelle vie et nous ne pouvons que féliciter Pinturas de son désir d’infuser une nouvelle vigueur à un spectacle qui ne manquera pas de mâle beauté. »

Nous étions donc effectivement en présence des premiers recortadores officiant chez nous. Le journal La Gironde présente à cette occasion l’un des acteurs de cette course, provençal d’origine :
« Ch. Boret, un des plus jeunes sauteurs de la Provence, en est aussi un des plus intrépides. Entraîné depuis longtemps à sauter au-dessus des toros camarguais, ce sera un jeu pour lui que de franchir les vaches du ganadero [sic] Pinturas ;il est heureux que ce dernier ait su faire un choix aussi judicieux pour compléter sa cuadrilla et le succès de la journée de dimanche paraît d’autant plus certain que la direction, de son côté, fait procéder à de sérieux aménagements de la piste, et, de ce fait, quel que soit le temps, la course aura lieu, pour la plus grande satisfaction des aficionados, impatients de voir cette cuadrilla en face d’un bétail présenté sans corde et cornes nues. »

Nous trouvons le compte-rendu de ce spectacle dans La France de Bordeaux et de Sud-Ouest du 10 avril, qui l’intitule de manière originale « course hispano-portugaise », et dont voici quelques extraits :
« Les amis des jeux de l’arène attendaient avec impatience la démonsttration première que le bon torero Pinturas nous avait annoncée, avec des vaches espagnoles cornes nues et sans corde, jeu qui ressemble aux courses landaises, mais hélas ! à celles d’autrefois.
Pinturas, dont nous connaissons, certes, la technique, l’adresse et le courage nous disait récemment que de tous les hommes de sa cuadrilla, « c’était lui le plus mauvais ». C’est trop de modestie de sa part. Parmi les toreros qui l’assistent, il y a des valeurs importantes, tels Estrella, ancien novillero, Fabrilo, ex-banderillero, Catalino, Portuguès, et dans le clan des landais [sic], Charles Boret, le sauteur réputé. »

Catalino et le sauteur Boret, qui réalise de belles figures à pieds joints et à la perche, se montrent à leur avantage, ainsi que Pinturas qui réalise de jolies feintes dont notamment « une avec un de ses camarades couché, la tête prise entre les talons »…
A noter qu’avant la sortie de la 4e vache, l’écarteur landais Lafayette « demande la permission de descendre dans le rond. Il n’abusa pas du reste de cette permission, peut-être trop bienveillamment accordée » juge le journaliste.
Autre exploit : « A la cinquième vache, la virtuosité intervient et c’est à trois que les toreros affrontent la vache de front. Le torero placé au milieu fait la feinte et se sert de ses deux camarades, qu’il tient par le cou, comme d’une cape ».

Après l’entracte, enfin, la sortie de la deuxième vache permet de voir en piste, ensemble, Landais, Espagnols et Portugais, « car après Lafayette, c’est l’écarteur et ganadero Koran qui saute dans le rond ». Ainsi se terminait ce qui fut une première dans notre région, celle de l’apparition des recortadores.

Une représentation de quiebro dans La Nueva Lidia en 1885