Le sinistre été de 1874 et les tampons

Il y a 150 ans, alors que les cornes des bêtes n’étaient pas tamponnées, les accidents graves étaient beaucoup plus fréquents qu’aujourd’hui, et l’été de cette année 1874 se révéla être l’un des plus sinistres. C’est du moins ce que nous incite à penser l’article paru dans Le Temps, n° 4864, du 9 août 1874 :
« Les courses de taureaux, dans les Landes, ont depuis quelques temps des solutions bien tristes, lisons-nous dans le Journal des Landes. Dimanche, à Benquet, deux écarteurs étaient assez grièvement blessés pour être recueillis à l’hospice de Mont-de-Marsan ; lundi, à Hagetmau, un écarteur nommé Pientes était mortellement frappé. La blessure reçue par ce malheureux a été jugée de suite comme grave ; la course a été suspendue. Pientes est mort dans la matinée de mardi. »
Le regretté Gérard Laborde nous apprend en outre, dans son Dictionnaire encyclopédique, que ce fut le taureau au nom bien gascon de Batistoun, appartenant au ganadero Camps, qui provoqua la mort de Pientes.

La première des informations est confirmée par le Journal des Landes du 7 août 1874, qui écrit : « A Benquet, deux écarteurs ont été assez grièvement blessés pour être recueillis à l’hospice de Mont-de-Marsan. »

Le drame d’Hagetmau donne lieu à beaucoup plus de détails. Les fêtes se déroulaient cette année-là du 1er au 4 août, avec deux « courses de taureaux » (le dimanche et le lundi), comme dans toutes les fêtes d’alors. Les prix y étaient particulièrement alléchants : 200 fr. au 1er, 150 au 2e, 110 au 3e, 80 au 4e et 60 au 5e, plus 400 fr. à distribuer à titre d’encouragements aux autres acteurs. L’affiche annonçait en outre : « Nota : La Commission des Fêtes ne voulant rien négliger pour satisfaire le public et maintenir la renommée des fêtes de Hagetmau, a choisi les meilleurs troupeaux de la contrée parmi lesquels figureront les taureaux de MM. Camps, Dubecq et Gambardès. » Ces terribles bovins n’étaient pas des plus faciles, et trois hommes furent en firent les frais lors de la course du lundi. Robert fut légèrement blessé, Robert fut attrapé en voulant sauter le jeune taureau Calva, mais c’est surtout le dénommé Pientes qui reçut les plus graves blessures. La course fut d’ailleurs suspendue au vu de la gravité de cette tumade. Le journal la Chalosse nous en fat un compte-rendu très circonstancié :
« A Hagetmau, un seul accident, mais celui-là a été fatal. Le nommé Pientes, conscrit, d’après ce qu’on nous a rapporté, de la classe de 1873, a été pris et lancé par un terrible taureau de M. Camps. Il a reçu dans le flanc une blessure large et profonde d’où le sang a immédiatement jailli en très grande abondance. Le malheureux était frappé mortellement ; quelques heures après il expirait, augmentant le nombre des victimes qu’a déjà faites depuis ces dernières années l’amusement si recherché des Landais : triste et horrible dénouement ! »

Effectivement, le 4 août à 7 heures du matin, le nommé Chrisostome Larribeau, célibataire, cordonnier, natif de Lauraet, canton de Montréal dans le Gers, et domicilié à Saint-Loubouer, né de père inconnu et de Marie Larribau, âgé de vingt-sept ans, rendait son dernier soupir. La transcription originale a été raturée et portait : « Christophe Jean, dit Piente ».

Cet accident et cependant des conséquences importantes, notamment pour l’histoire de notre Course, car il nous renseigne sur l’évolution de la réflexion sur les tampons des cornes de nos vaches. Voici en effet ce que le journaliste de la Chalosse écrit à la suite du texte que nous avons reproduit plus haut :
« En 1863, si nous avons une bonne mémoire, quelques taureaux furent tamponnés dans nos arènes à l’occasion des fêtes de la St Jean ; la mesure avait été prise par ordre de l’administration, à la suite de deux accidents qui avaient entraîné mort d’homme ; il est vrai qu’elle eut l’honneur de nombreux sifflets, de railleries assez banales, de protestations bruyantes. Quelque malin poète chanta même :
Le tampon
Tontaine, tonton.
Eh bien ! le tampon devrait être rigoureusement exigé sur les cornes de certains animaux, dût-il exciter les criailleries des misanthropes ; sinon, avec des bêtes dont la ruse et la rage croissent avec l’expérience que donnent des courses fréquentes, on s’expose à voir des jours de plaisir et de joie se transformer en en jours de deuil et de tristesse. On s’amusera tout autant ; les émotions des spectateurs seront peut-être moins fortes ; mais du moins on ne verra ni sang, ni pleurs. Et si cette compensation parait insuffisante à de farouches tauromanes qui, du haut d’un gradin, ne risquent que la fatigue de leurs poumons et de leur gorge, qu’on les invite, qu’on les oblige même à venir jouer leur vie à la place de celle des autres, pas un n’osera descendre, nous le garantissons. Silence donc à ceux qui ne sont prodigues que de l’existence d’autrui ! »

Et le Journal des Landes, qui reproduit cet article, ajoute : « Nous croyons savoir que le chef de l’administration départementale se propose de prendre des mesures pour éviter le retour de pareils accidents. Il serait question de faire tamponner les cornes des taureaux et vaches. »

Il fallut cependant attendre plusieurs décennies et malheureusement d’autres graves accidents pour que les tampons, souvent décriés par les puristes de la Belle Époque, soient enfin définitivement adoptés.