Je vous ai récemment parlé des anciennes courses de Nérac et de Marmande, mais la préfecture n’était pas en reste ! La « Tuile » ne manqua d’ailleurs pas de s’en faire l’écho en publiant l’affiche ci-dessus.
Grâce à l’ami fidèle Christian Capdegelle, voici les articles de la presse locale annonçant et détaillant les courses des 2 et 3 septembre 1911 dans les arènes agenaises installées au fameux Gravier. Et tout d’abord, la mise en bouche…
« Courses landaises. On annonce pour les 3 et 4 septembre prochains de grandes courses landaises à Agen avec les meilleurs sauteurs de la Chalosse et des Landes et le renommé bétail de M. Barrère. » (La Petite Gironde, samedi 10 août 1911)
« Courses landaises. Nous voici à la veille des courses landaises sur la promenade du Gravier. L’organisateur ne néglige rien pour leur donner le plus d’éclat possible. Il s’est assuré le concours du ganadero de Buros et de sa vaillante cuadrilla. M. Barrère nous arrive couvert de lauriers. Ses succès ne se comptent plus.
La ville d’Agen est privilégiée, car elle va assister aux prouesses du jeune et vaillant torero Joseph Koran, surnommé à juste titre le roi de l’arène, et qui pendant cette temporada se couvre de gloire ; c’est le chef actuel de la cuadrilla Barrère ; il sera accompagné de Lacoste, le champion de 1910 ; le vétéran Bras-de-Fer, aux passes savantes ; Despouys, le feinteur émérite ; Priam, le bûcheur infatigable, etc., sans oublier l’élégant sauteur Daverat.
Quant à M. Barrère, il doit amener la fine fleur de son panier : un lot de baquillas soigneusement sélectionné reçoit les meilleurs soins du célèbre mayoral Cassiède.
Tout fait prévoir deux journées de lutte des plus palpitantes. Hommes et baquillas voudront sans doute faire briller dans la capitale du Lot-et-Garonne le sport si goûté du public landais.
Le public est prévenu que la séance de courses du lundi 4 septembre, de trois heures du soir, n’aura pas lieu, pour permettre aux hommes et au bétail de prendre un peu de repos. Cela fait que les trois autres n’en auront que plus d’éclat.
Voici l’ordre des séances : celle de dimanche, à trois heures ; de dimanche soir, à huit heures, et de lundi soir, à huit heures. » (La Petite Gironde, vendredi 1er septembre 1911)
« Courses landaises. Les personnes désireuses de prendre des billets à l’avance sont priées de s’adresser au bureau de tabac, rue Molinier, tenu par M. Pons. A partir de samedi matin sept heures, un guichet sera mis à la disposition du public au champ des courses pour la distribution des billets.
Le défilé en musique partira de la place du XIV-Juillet, à trois heures. Contrairement au bruit qui circule, les arènes sont construites solidement, et le public ne court aucun risque. Le troupeau de M. Barrère est arrivé vendredi à deux heures. » (La Petite Gironde, samedi 2 septembre 1911)
« Courses landaises. Les arènes dans lesquelles auront lieu, dimanche et lundi, les courses que nous avons annoncées, sont construites sur le foirail du Gravier très solidement : des expériences ont été faites qui le prouvent. On peut y aller de confiance.
Le bétail de M. Barrère est arrivé vendredi, par le train d’une heure de l’après-midi ; il est en très bon état et paraît devoir donner satisfaction aux plus difficiles.
Les personnes qui désireraient prendre des billets à l’avance sont priées de s’adresser au bureau de tabac situé rue Molinier et tenu par M. Pons. A partir de samedi matin 7 heures, un guichet sera mis à la disposition du public, aux arènes.
Le défilé de la musique partira de la place du Quatorze-Juillet, dimanche, à 3 heures. (La Dépêche, samedi 2 septembre 1911)
« Courses landaises.
C’est aujourd’hui dimanche qu’auront lieu les grandes courses landaises, sous la présidence du maire d’Agen [Georges Delpech, maire socialiste d’Agen de 1904 à 1912], aux arènes, solidement installées sous les ombrages de notre belle promenade du Gravier.
Quelques renseignements sur les toreros qui affronteront le redoutable troupeau de M. Barrère.
C’est d’abord Koran, chef incontesté de la cuadrilla. Jeune, grand, mince, souple et rapide, ce garçon possède toutes les qualités nécessaires à un écarteur landais. Courageux à bon escient, modeste et travailleur, il ne croit pas nécessaire de ménager sa peine et, contrairement à certaines étoiles, il fournit qualité et quantité.
Lacoste, champion de 1910, saison pendant laquelle il ne connut pas la défaite ; doué de qualités physiques le servant admirablement, d’un coup d’œil sûr et jarrets solides, est un feinteur émérite.
Despouys a souvent eu l’honneur d’enlever le premier prix. Connait la course dans tous ses secrets. Par ses feintes savantes, il soulève l’enthousiasme du public.
Bras-de-Fer n’a ni sourire ni couleurs, mais a une longue carrière. Son travail sert de modèle à tous ses collègues plus jeunes que lui.
Priam, bûcheur, simple et vaillant, ne se laisse ni démoraliser par les bousculades ni éblouir par les applaudissements. C’est un torero qui a toutes les sympathies du public.
Laffau est un écarteur de la vieille école. Ses écarts sont supérieurs et donnent une idée de ce qu’est la perfection.
Lacoste II, vaillant et courageux, attaque toutes les vaches.
Oscar a les mêmes qualités que le précédent, mais son travail est plus gracieux.
Enfin, pour terminer, nous désignons le sauteur Daverat. Distinction, élégance, son travail a fait les délices des Parisiens au Cirque d’Hiver.
Pendant l’entracte, il sera fait une exhibition de la Suerte de Tancrède, l’homme-statue, qui, placé au milieu de l’arène sur un piédestal, affrontera les cornes d’une vache en liberté. » (La Petite Gironde, 3 septembre 1911)
Voici maintenant, toujours grâce à l’ami Capdegelle, ce que pensa de cette course le Michel Puzos de La Dépêche d’alors :
« Les courses landaises.
Nous avons eu dimanche la première journée des courses landaises qu’attendaient avec tant d’impatience les chauds amateurs de ce spectacle.
Nous nous demandions non sans quelque inquiétude comment le public agenais, qui depuis longtemps, était privé, prendrait la chose et quel accueil il ferait aux vaches landaises et à leurs écarteurs.
Ce n’a pas été un succès, mais un véritable triomphe et les Agenais se sont montrés aussi enthousiastes de ce sport que leurs voisins du Gers et des Landes dont c’est le spectacle favori.
A la première représentation, celle de l’après-midi, les arènes étaient combles, malgré la chaleur torride, et on a paru prendre un très vif plaisir aux sauts élégants et aux écarts audacieux qui nous furent servis.
M. le maire avait accepté la présidence d’honneur de la course et il s’est acquitté de cette fonction nouvelle avec les qualités d’amabilité qu’il apporte à l’accomplissement de toutes celles qui lui sont confiées.
Les arènes avaient été dressées sur le foirail du Gravier, entre deux larges rangées de magnifiques platanes, sur le bord de la Garonne, dans un cadre qui n’aurait pu être mieux choisi.
Les tribunes n’étaient peut-être pas très confortables ni les bancs trop moelleux, mais elles étaient solides et nous n’avons eu aucun accident à déplorer, sauf quelques coups de cornes reçus, de ci de là, par les écarteurs qui, habitués sans doute à ses gentillesses, ne paraissaient pas trop s’en émouvoir. Ils revenaient aussitôt prendre leur place dans l’arène plus audacieux et plus brillants encore.
Nous devons une mention spéciale aux écarteurs Coran, Lacoste, Priam, Bras-de-Fer, etc., aux sauteurs Coran et Lacoste, au teneur de corde Kroumir qui, bien que jouant un rôle plutôt effacé en apparence, est le pivot de la course, car de son habilité et de sa présence d’esprit peut dépendre bien souvent la vie de ses camarades.
Profane, nous devons nous borner à ces constatations car nous ignorons les finesses de cette science tauromachique spéciale, mais nous répèterons avec les connaisseurs que les courses de dimanche furent très intéressantes et que le public a paru y prendre goût.
Le soir, à la lumière électrique, qui ne paraissait pas étonner le bétail outre mesure, il en fut de même et les écarteurs, stimulés par les applaudissements du public, se montrèrent peut-être encore plus audacieux.
A un moment, on put croire Coran solidement encorné. Il resta plusieurs minutes sur la tête de l’animal dont on croyait que la corne ayant pénétré profondément dans les chairs le retenait captif. Un frisson d’effroi courut sur le public. Enfin Coran fut dégagé, il n’était même pas blessé. Pris par la tête de l’animal, il était resté dans le berceau des cornes et, solidement agrippé aux oreilles, avait attendu l’aide de ses camarades. Ca a été tout de même assez angoissant.
A signaler le « Tancrède » qui, statue vivante mais immobile, se campe sur une chaise au milieu de l’arène où évolue une vache en liberté que semble plutôt effrayer son immobilité de statue blafarde.
C’était la bête qui écartait l’homme.
Moins heureux dans la soirée, la vache ayant sans doute flairé la supercherie, le señor Tancrède a dû sauter de son piédestal et se sauver à toutes jambes. Ce fut l’incident comique.
A signaler aussi deux acrobates qui, par des équilibres de force, ont soulevé les applaudissements du public.
Les courses landaises, si ce genre de spectacle s’implantait à Agen, y obtiendraient sûrement, et bientôt, la faveur du public. C’est ce qui nous a paru résulter de la journée de dimanche.«
Le compte rendu de la seconde course, donnée le lundi 4 septembre 1911, est paru dans La Dépêche du lendemain, et donne en fait l’occasion au journaliste de dresser un bilan quasi sociologique sur ces courses agenaises.
« Les courses landaises.
Nous avons dit ce que fut dimanche dernier la première journée de courses landaises, un triomphe.
La deuxième journée, qui ne comprenait qu’une seule séance de nuit, ne l’a cédé en rien à la première, et lundi soir une foule énorme se pressait encore sur les gradins des arènes du Gravier.
Décidément, la population agenaise et celle des campagnes avoisinantes mordent à ce spectacle un peu monotone peut-être pour celui qui assiste à trois séances consécutives, mais cependant intéressant, émouvant parfois, où des hommes jeunes et agiles luttent avec la brute et opposent à sa force inintelligente leur sang-froid déconcertant.
On se plaint généralement dans notre ville de la rareté des fêtes qui, attirant les étrangers, donneraient à notre commerce un aliment nouveau.
Nous avons pourtant des comités ou commissions qui se sont constitués dans le but de multiplier les occasions de fêtes ou de profiter de celles que leur donnent nos grandes foires, par exemple, pour attirer les étrangers par l’attrait de spectacles susceptibles de les intéresser.
Nous avons eu ainsi les fêtes d’aviation de l’an dernier, qui avaient pleinement atteint ce but, sans cependant contenter tout le monde, et celles de cette année sur lesquelles pesait l’expérience de leurs aînées.
Nous avons eu, hier et dimanche, les courses landaises. L’empressement du public, malgré le prix relativement élevé des places justifié par les frais considérables de la construction des arènes pour une si courte temporada, montre que dans notre beau pays on est toujours sûr d’avoir une recette lorsqu’on excite la curiosité.
Cela constitue donc un précieux encouragement pour les organisateurs de réjouissances publiques que, dans la mesure de ses forces, la municipalité, toujours soucieuse des intérêts dont elle a la charge, secondera toujours de son mieux.
Le commerce agenais, si intéressant – et si intéressé à ces fêtes dont il profite largement – se doit d’en continuer la série. Il peut compter que les appuis ne lui manqueront pas et qu’à ses efforts louables répondra toujours l’empressement du public.
« Panem et circenses ! » disaient les Romains de la décadence.
Ces deux termes se tiennent toujours. Les jeux du cirque attirent toujours la foule, ils font sortir les pièces blanches des cachettes les plus profondes ; cela fait marcher le commerce et donne du pain à bien des gens. – E. B. »
En prime, je vous offre l’une des (rares) vues des arènes mobiles installées sur le fameux « Gravier », lieu de la plupart des grandes festivités de la préfecture lot-et-garonnaise. Elle m’a été fournie par Christian Capdegelle, le fidèle coursayre de Casteljaloux. Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à me les communiquer sous forme de fichier numérique. C’est bien sûr pour mettre à la disposition de la communauté coursayre toute entière…