La série « La Course Landaise » de la maison Gautreau

gautreau_carnet.jpg

L’une des grandes sociétés d’édition de cartes postales de la première moitié du 20e siècle, la maison Gautreau de Langon (Gironde), a notamment diffusé une série intitulée « La Course landaise ». On en compte une quinzaine, numérotées de 1101 à 1115, dont certaines furent reprises plus tard avec une numérotation différente (4061 et suivantes). On y retrouve les grands noms de l’âge d’or de notre sport : Meunier, Montois, Mazzantini, Cantegril, Giovanni et Koran, dont on nous montre un écart et un saut. Quelque-unes d’entre elles furent également intégrées au carnet que Gautreau réserva à « La course landaise et la course espagnole » dont vous avez la couverture plus haut.

Voici le lien vers l’album que j’ai réalisé avec ces images:

https://fr.calameo.com/read/005336729dfe300000dab

 

Publicité

1886 : Le premier saut périlleux

balussaud_747.jpg

C’est le 3 août 1886, dans les arènes de Peyrehorade, qu’eut lieu un événement qui allait marquer durablement la course landaise : « ce jour-là, en effet, pour la première fois de mémoire d’homme, Charles Kroumir franchit le taureau en exécutant le saut périlleux ! » (Clic-Clac).

En fait, cette révolution (dans tous les sens du terme) fut la conséquence d’une banale rivalité entre deux écarteurs-sauteurs, Charles Kroumir et Paul Daverat. Lors de la 1e sortie, Kroumir répondit aux sauts de Daverat par un saut à la course, mais à la seconde il sentit qu’il devait se surpasser pour battre le champion, et c’est là qu’il réalisa ce fameux et tout premier saut périlleux de l’histoire de la course landaise. Le détail de cet événement fut narré en son temps par P. Séris, et je le publierai un jour en entier. Qu’il me suffise aujourd’hui de retranscrire ce que Clic-Clac en retint:

« La stupéfaction des amateurs fut grande, lorsqu’on vit pour la première fois, à Peyrehorade, le Kroumir tournoyer en l’air et retomber légèrement sur ses pieds. Pendant une demi-heure la course fut interrompue, le public ne cessant d’applaudir et de rappeler le Kroumir ».

C’était il y a 132 ans… Aujourd’hui le saut périlleux est devenu presque banal, et le saut périlleux vrillé devient un incontournable de la panoplie du sauteur. Autres temps, autres mœurs…

kroumir_saut_echo_1912.jpg

L’image que nous vous présentons ici pose un certain nombre de questions. En effet, elle a parfois été publiée dans ces dernières décennies comme étant la photo de ce premier saut périlleux réalisé en 1886 par Kroumir dans les arènes de Peyrehorade. Or voici le même document reproduit en première page d’un numéro de l’Echo de l’arène en 1912 (le 6 octobre précisément) avec une légende extrêmement détaillée qui localise les arènes, donne le nom du ganadero et même celui de la vache ! Alors, Peyrehorade ou Bordeaux ?

Les premières courses après la Commune : 1872 ou 1873 ?

journal_det

Si l’on en croit le grand Clic-Clac dans son Histoire des courses landaises, copié bien sûr et recopié depuis, « En 1870 et 1871, la patrie était en deuil et les courses subirent un temps d’arrêt. Ce ne fut qu’en 1873 que les courses landaises reprirent leur marche dans la voie incessante du progrès ». Je vais être au regret d’infirmer cette assertion, car j’ai trouvé dans le journal Le Temps, dans son n° 4190 du mercredi 2 octobre 1872, la brève suivante (reprise de La Gironde) :
« Des courses de vaches landaises ont eu lieu dimanche à Bordeaux. Les premiers écarteurs des Landes, au nombre de neuf, ont, dit la Gironde, pendant trois heures, rivalisé d’adresse, de sang-froid et d’intrépidité. Il y a eu quelques incidents émouvants, mais pas d’accidents à proprement parler, puisque pas un écarteur n’a quitté l’arène ni n’a cessé d’écarter. Omer, Darracq et Pabot ont été parfois un peu bousculés, et ce dernier, aidé par les longues cornes de la vache Piccalina, a même fait, pendant la seconde partie de la course, un saut doublement périlleux ; mais il a néanmoins continué à écarter avec beaucoup d’ardeur et sans paraître en rien se ressentir de sa pirouette. Des bouquets et des cigares ont été jetés, dans l’arène, à Omer, Camiade et Pabot. »

Des courses à Pau (et à Gelos)… en 1866 et 1901 !

tumade_remy.jpg

Je vous ai parlé récemment de l’inauguration des arènes de Pau en 1912. Mais la capitale du Béarn n’avait pas attendu cette date pour offrir à ses habitants le spectacle des courses landaises.

Déjà en 1866, pour les fêtes de bienfaisance qui s’y déroulent, on annonce pour le 3 avril à 2 heures, une « Grande course aux taureaux sur la place Napoléon ». « Une quadrille landaise choisie parmi les meilleurs écarteurs » s’y produira, et 4 prix de 100, 150, 250 et 300 fr. seront répartis entre les vainqueurs. Par ailleurs, 400 fr. d’encouragement seront décernés par le jury et les « commissaires spéciaux ». Une affiche ultérieure devait donner d’autres détails, mais nous ne l’avons pas retrouvée.

Nous avons en revanche pu découvrir le compte-rendu de cette course, paru dans le Mémorial des Pyrénées du 5 avril 1866 :

« Fêtes de Pau (2e journée). – Les courses de taureaux – lisez vaches landaises – avaient attiré mardi une foule considérable au vaste amphithéâtre élevé sur la Place Napoléon.

Ces courses ont commencé à deux heures, et le public en a suivi avec émotion les divers incidents, applaudissant tantôt à l’agilité des écarteurs, dont quelques-uns ont fait preuve de beaucoup de hardiesse en franchissant les animaux de la tête aux pieds ainsi qu’en travers, tantôt la vigueur avec laquelle ces mêmes animaux, excités par les mouchoirs secoués devant leurs yeux, se précipitaient à la poursuite de leurs agresseurs.

Des mesures avaient été prises au surplus pour épargner aux spectateurs le côté sanglant de ces jeux ; car le goût de ces divertissements est loin encore d’avoir pénétré nos mœurs ; nos populations ne paraissent pas disposées à savourer, à l’instar du peuple espagnol, la vue de ces taureaux couverts de sang, éventrant les chevaux et les hommes et succombant à leur tour, aux applaudissements d’une multitude exaltée à la vue de leurs cadavres traînés dans l’arène.

Ici il n’en était point ainsi, et bien que les vaches landaises qu’on nous a présentées aient montré beaucoup d’entrain et de vigueur, on était rassuré d’avance, parce qu’étant attachées avec une corde, il était possible de les retenir, et ensuite parce que l’enceinte de l’amphithéâtre n’étant pas très vaste, il était assez facile aux écarteurs de leur échapper en se réfugiant dans les loges préparées à cet effet.

La musique de la ville se faisait entendre par intervalles et contribuait ainsi à l’éclat de cette journée, qui n’a été troublée par aucun fâcheux incident, malgré la grande multitude rassemblée sur l’amphithéâtre, qui du reste, nous devons en remercier les organisateurs de la fête, était construit avec beaucoup de solidité.

Voici dans quel ordre les prix ont été décernés :

1er prix : M. Louizot [Louis Mamousse, dit Louisot], de Labastide
2e prix : M. Dufau, Joseph [Joseph Dufau, dit Cocard], de Labastide
3e prix : M. Dufau, Pierre [Pierre Dufau, dit Pinan], de Labastide
4e prix : M. Bordeaux, Pierre, de Barcelonne
5e prix : M. Mauléon, de Dumes
6e prix : M. Tisaux, de Mont-de-Marsan
7e prix : M. Duprat, de Dax
8e prix : M. Dayris, de Dax.

Nous sommes persuadé que la recette a dû être abondante : l’affluence des spectateurs et le prix élevé des places sont en effet deux motifs suffisants pour faire supposer que les pauvres n’auront qu’à se louer du résultat… »

Le grand intérêt de ce texte, outre de nous renseigner sur l’ancienneté des courses paloises, est de fournir les noms de ces écarteurs pionniers et leur origine géographique, ce qui en permettra une identification plus précise.

35 ans plus tard, en mai 1901, la capitale du Béarn remet çà, mais plus en pleine ville, sur la place Napoléon (devenue place de Verdun). Des arènes sont installées à quelques encablures de la préfecture, dans la proche banlieue. Voici ce que l’on peut lire dans Le Figaro du 17 mai 1901 sur cette course mouvementée :

« Pau. – Les courses landaises de Pau-Gélos ont été marquées de plusieurs accidents.
L’écarteur Marin a été blessé deux fois. Le jeune Émile Girard, dit Moutchacho, âgé de seize ans, a été très grièvement atteint d’un coup de corne à l’aine et a dû être transporté à l’hôpital de Pau. Un des sauteurs a eu le genou déboîté. »

Gelos devient à cette époque le lieu privilégié des courses landaises, et nous en retrouvons une superbe illustration en septembre de la même année :

gelos_1901.jpg

Tirée des trésors de Jean-Pierre Dubecq (un nom bien connu des historiens de la course landaise!), que nous remercions ici pour sa collaboration à ce blog, voici l’exceptionnelle affichette de cette course. On remarquera tout d’abord que la gravure n’est pas vraiment adaptée, puisqu’elle représente une entrée a matar de corrida.
Au programme, d’abord, le traditionnel défilé dans les rues qui, si je ne m’abuse, se perpétue essentiellement à Orthez. La course, donnée dans les arènes du « Pont du Soust », était organisée en deux parties, avec le bétail justement de M. Dubecq, le ganadero d’Estibeaux. On voit d’ailleurs que les vaches avaient leur nom en bonne place sur l’affiche, avant ceux des écarteurs, et qu’on mettait en particulier en avant les terribles Peluquina et Paloma qui venaient en un mois de blesser grièvement trois acteurs…
La cuadrilla était composée de Camiade, Giret, Lalanne, Duffau (Jeanton), Duffau (Pierre) et Pevau, ainsi que des deux sauteurs Camiade fils et Richelieu.

Par suite du mauvais temps, elle fut reportée au dimanche suivant. Le compte rendu en est fait dans L’Indépendant des Basses-Pyrénées du 24 septembre, qui trouve qu’elle ne répondit pas aux attentes du public :

« [Avant-]Hier dimanche, a eu lieu aux arènes du Soust une course landaise sous la direction de M. Dubecq, en présence d’un nombreux public.
Disons de suite que si le bétail a été bon, il n’en a pas été de même des écarteurs dont on nous avait promis l’élite.
Si nous en exceptons Pévau et Camiade fils, on peut dire que les autres n’étaient dans les arènes que pour parade.
Il est regrettable – ce sport semblait pénétrer dans les mœurs paloises – que le public soit déçu par des alléchantes promesses qu’ont l’habitude de faire les directeurs de ces corridas. »

Les 12 commandements du ganadero et de l’écarteur

lahourtique.jpg

En ce début de saison où l’on se doit de prendre des bonnes résolutions, voici les 12 commandements auxquels devaient obéir il y a un siècle les ganaderos. Ils furent édictés par le fameux revistero Jean de Lahourtique dans un numéro de La Course landaise de 1911, mais certainement pas tous suivis…

« 1. Une seule plaza t’engageras
A bien servir une fois l’an.
2. Aux écarteurs tu donneras
Le quart de tes engagements.
3. Aux Commissions tu promettras
Les meilleurs de tes éléments.
4. Aux membres du jury dicteras
Tes volontés docilement.
5. A ta cuadrilla tu paieras
Les frais de ses déplacements.
6. Dans les hôtels tu régleras
Les notes de « tes enfants ».
7. Des revisteros tu te méfieras
Et de leurs trop flatteurs compliments.
8. La Course landaise actionneras
Afin qu’elle vive longuement.
9. Au public qui t’engueulera
Tu répondras mêmement.
10. Et ton contrat renouvelleras
Avec un billet de supplément.
11. Fin de la saison promettras
Beaucoup de choses, au Nouvel An.
12. De cette façon, tu verras,
Que tout le monde sera content. »

Jean de Lahourtique édicta, à la suite de ces 12 commandements du ganadero, ceux de l’écarteur. Pourrait-on y voir une certaine contemporanéité ? A vous de juger !

« 1. Un seul ganadero tu suivras
Et serviras pour son argent.
2. Les emboulées écarteras
Et les vieilles de temps en temps.
3. Les dimanches tu travailleras
Et le lundi le moins souvent.
4. Le teneur de corde honoreras
Afin que tu vives longuement.
5. La talanquère tu soutiendras
A l’ombre, tout en fumant.
6. Un costume de luxe tu revêtiras
Pour défiler au paseo, seulement.
7. Le jury tu engueuleras
Si des prix tu n’es pas content.
8. La Course landaise tu liras
S’il n’y a pas ton éreintement.
9. La grande noce tu feras
Durant six mois de l’an.
10. Et l’hiver tu penseras
A recommencer au printemps.
11. Cette existence tu mèneras
Jusqu’à l’âge de quarante ans.
12. Puis après tu regretteras
De ne plus avoir tes vingt ans. »