Don Tancredo !

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Certaines de nos courses landaises anciennes comportaient souvent comme intermède la présence d’un « Don Tancredo ».
Le Don Tancredo, ou la suerte de Don Tancredo était un jeu taurin qui connut un engouement certain dans la 1e moitié du 20e siècle. L’individu qui faisait le Don Tancredo, monté sur un piédestal situé au centre de la piste attendait le taureau à la sortie du toril. L’exécutant portait généralement des vêtements anciens ou comiques, et était vêtu et barbouillé complètement en blanc. Le jeu consistait à rester immobile, car l’on affirmait qu’en tel cas, le taureau croyait que la figure blanche était du marbre, et qu’il ne l’attaquait pas, convaincu de sa dureté.
Il semble bien qu’un torero espagnol peu fortuné, originaire de Valence, ayant pour nom Tancredo López, soit à l’origine de ce type de spectacle, et qu’il ait commencé à le faire comme un moyen désespéré de gagner de l’argent. Il le réalisa pour la première fois en Espagne en 1899. Le public fit un accueil enthousiaste à cette pratique, qui se développa peu à peu. Dans les années 1900, Tancredo López la présenta dans de nombreuses arènes françaises et espagnoles et fut surnommé « El rey del valor » (le roi du courage »). On le qualifia également d’ « hypnotiseur de toros » et les premières affiches annonçaient même pour chacune de ses actuations une « gran sesión de hipnotismo ».
Le Tancredo était souvent interprété par des personnes désespérées à la recherche d’argent facile et ayant peu à perdre, car les accidents étaient fréquents. C’est la raison pour laquelle les autorités l’interdirent progressivement, et les dernières représentations se déroulèrent vers le milieu du 20e siècle.
Picasso a représenté cette suerte en mai 1957 : c’est l’une des illustrations qu’il réalisa pour sa Tauromaquia, qui paraîtra en 1959.

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Voici deux représentations de cet intermède comique photographié lors d’une course landaise dans les anciennes arènes en bois de la Place Saint-Roch, à Mont-de-Marsan. Il semble que dans ce cas, l’homme-statue immobile n’intéressait absolument pas la vache.

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Un autre Don Tancredo, mais cette fois qualifié d’amateur, a été immortalisé dans les anciennes arènes en bois de Gabarret. Ici,  le face à face entre l’homme et la bête ressemble plutôt à un défi réciproque.

Si l’on regarde bien certaines cartes postales de paséos, on aperçoit parfois un mystérieux homme en blanc au milieu des écarteurs. Si l’on zoome sur lui, l’on découvre qu’il s’agit bel et bien d’un Don Tancredo dans sa plus belle candeur. Seule sa moustache n’a pas été blanchie…

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Cette suerte n’était pas de tout repos ! On en voit ici une version peu orthodoxe, où le Don Tancredo semble attendre la vache non pas debout tel une statue de marbre, mais assis sur son socle. Difficile pour lui d’hypnotiser la coursière dans cette position… Et le photographe a pu immortaliser l’instant fugitif immédiatement préalable à une rencontre frontale inévitable ! La scène se passait encore dans les nouvelles arènes de Mugron, où se produisait régulièrement l’un des rois de cet intermède, Bamboula, et où l’on semblait goûter fort ce genre d’exercice…

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Après Mugron, nous voici à Marciac, où Don Tancredo a particulièrement intéressé le photographe jusqu’à une sévère tumade…

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Une autre carte, assez rare, nous permet de découvrir d’une part les anciennes arènes en bois de Vic-Fezensac, et de l’autre une version très originale de la suerte de Don Tancredo. Contrairement à la tradition, « l’homme statue » n’est en effet pas costumé et grimé de blanc, mais il est vêtu d’un habit de torero. Il est vrai que nous étions là dans le cadre d’une corrida, et ce devait être tout simplement un des peones de la cuadrilla qui jouait à l’occasion ce rôle.

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Les Landes ne sont pas en reste. Nous avons déjà vu que Mugron goûtait ce type d’intermède. Voici une nouvelle image qui nous transporte les anciennes arènes d’Hagetmau. L’homme-statue est ici debout sur une chaise, mais la vache semble n’avoir d’yeux que pour l’écarteur qui la distrait près des barrières…

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L’une des vedettes de cette suerte était le dénommé Bamboula (François Garcia, dit), dont il nous reste un portrait saisi sur la piste.

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Si ce personnage qui meublait régulièrement les intermèdes des courses était généralement, comme on le voit, un fort gaillard, on en a connu une version féminine ! Voici la courageuse et souriante « Mlle Geneviève » qui accompagnait son matador de compagnon au nom assez étonnant de « Henriquès Rodès », dit Roderito. Ce dernier faisait d’ailleurs également « l’homme-statue » : j’ai retrouvé dans une gazette suisse (!!!) le compte-rendu d’une corrida donnée dans les arènes d’Avignon le 27 septembre 1908 au cours de laquelle  « Rodès Roderito » fut renversé de son piédestal et reçut plusieurs coups de corne au bas-ventre, blessures qui, heureusement, ne paraissaient pas mortelles…

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J’ai même trouvé une deuxième Doña Tancreda ! Cette « statue vivante », qui ma foi est face à une bête respectable et qui ne semble pas emboulée, a pour nom d’artiste « La reina del valor ». Et il lui en fallait certainement du courage pour affronter seule en piste et sans défense ce redoutable adversaire ! Je n’ai pas encore pu identifier cette reine, et peut-être d’ailleurs s’agit-il tout simplement de la charmante Mme Geneviève dont je viens de vous parler. Toujours est-il que cet intermède était donné lors d’une course dans des arènes qui ont disparu depuis longtemps et dans une ville qu’on a aujourd’hui du mal à considérer comme taurine, puisqu’il s’agit de Roubaix, dans le Nord. Et pourtant cette cité industrielle connut dès la fin du 19e siècle et jusqu’en 1914 plusieurs corridas dans son « torodrome » où les plus grands matadors se produisirent alors.

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Et une dernière pour la route… La profusion de ces images marque bien d’ailleurs l’engouement qu’il y avait pour cette suerte à l’époque. En fait, la légende de cette carte ne mentionne pas spécifiquement Don Tancredo, mais dans le « corps à corps » qu’elle y représente, on voit bien qu’il s’agit de notre Tancrède avec son costume blanc. Le lieu est inhabituel, puisque Montereau est une charmante commune du Loiret qui n’est pas vraiment réputée pour sa tradition tauromachique. Mais comme Montceau-les-Mines, Nantes, Roubaix ou encore Reims, elle fait partie de ces plazas qui accueillirent à l’occasion des courses hispano-landaises (ou même de véritables corridas) avant 1914. On voit d’ailleurs, dans l’angle droit, les acteurs portant le costume particulier de ce type de courses.

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Le saut à la barre ou à la garrocha

Ce type de saut, repris il y a quelques années par Nicolas Vergonzeanne, ne s’exécutait généralement que dans les courses hispano-landaises ou provençalo-landaises.

Voici ce qu’en dit Clic-Clac en 1905 :
« Ce saut d’essence provençale est pour ainsi dire délaissé de nos jours ; c’est à peine si nous avons vu un jeune Montois du nom de Roufian essayer de l’importer sur nos arènes, sans grand succès d’ailleurs.
Il consistait, comme dans le saut à la course, à partir à la rencontre de la vache, une barre de 2m.50 aux mains ; dès que la bête était à une distance voulue et calculée, l’homme posait un bout de la barre sur terre et s’élevait sur la force des poignets pour livrer passage à l’animal. Au moment exact du passage de la bête sous lui, il lâchait la barre qui bien souvent était projetée au loin par un coup de tête du fauve.
Les Provençaux sont très adroits dans cet exercice. Comme pour le saut à répétition, ils se mettent quelquefois deux et trois à la suite les uns des autres. L’aficionado landais n’est guère friand de cet exercice ; c’est peut-être parce qu’il le connaît fort peu. Car on voit souvent des bonds prodigieux. »

Pour confirmer les dires de Clic-Clac, voici le dessin des sauts exécutés par la cuadrilla provençale du Pouly lors des Fêtes du Soleil en 1887 (Le Monde illustré).

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En fait, loin d’être d’origine provençale comme l’écrit le célèbre revistero Clic-Clac, le saut à la garrocha faisait partie dès le 18e siècle des jeux de l’arène espagnols. Goya en donne d’ailleurs une représentation dans sa Tauromachie. Et voici celle publiée à l’appui de l’étude de Dufourcet et Camiade sur les courses de taureaux dans le Bulletin de la Société de Borda en 1891.

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On en trouve une version originale sur un superbe plat conservé dans les collections du Musée de la Faïence de Sarreguemines (Moselle). Il fait partie d’une série consacrée à la tauromachie et porte comme titre : « Le saut à la perche ».

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Les (anciennes) arènes de Soustons ont connu plusieurs courses hispano-landaises ou hispano-provençales, dont je vous montrerai au fur et à mesure plusieurs images. Sur celle que je vous présente aujourd’hui, on voit ce fameux saut à la garrocha qui était devenu l’une des figures classiques de ce type de course.

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Voici une autre plaza qui connut des courses « provençales », celle de Marciac dans le Gers. Cette carte écrite en 1903 montre le saut à la garrocha réalisé par l’un des membres de la fameuse cuadrilla dirigée par Alphonse Bayard.

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Très intéressante aussi, cette image publicitaire de la « Chicorée Daniel Voelcker-Coumes » à Bayon (Meurthe-et-Moselle) : comme quoi, nos « vieilles coutumes » de Gascogne étaient même connues des Lorrains vers 1900 !

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Voici une autreimage publicitaire sur les « courses de taureaux landaises », qui fait partie de la très riche collection du Chocolat Guérin-Boutron. Ici encore, c’est le saut à la perche ou à la garrocha qui est représenté, avec une autre suerte qui était celle de la chaise. On remarque que le taureau est emboulé et qu’il présente des cocardes un peu partout sur le corps…
Le texte qui accompagne ce dessin, quant à lui, ne devait pas déplaire à la Société protectrice des animaux : « Les courses de taureaux données dans les Landes diffèrent des courses espagnoles en ce qu’elles sont plutôt un jeu qu’un combat. Ici, point de chevaux éventrés, ni de taureaux tués. Ces courses ne sont qu’adresse et agilité »…

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Grâce à l’ami Patrick Capdegelle, homme d’aficion et de passion, voici maintenant une belle image d’un sauteur landais exécutant le fameux saut à la garrocha dans les arènes de Toulouse aux alentours des années 1890 semble-t-il. Il s’agissait bien sûr d’une course hispano-landaise, très à la mode à cette époque. Et le béret ne bouge pas, hilh de pute!

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Trouvée récemment, cette dernière carte nous prouve que le salto de la garrocha s’est également perpétué dans la course camarguaise. Réalisée par le grand photographe arlésien George, elle représente Granito II sautant le « Set-Mouraou » de Baroncelli dans les arènes des Saintes-Maries-de-la-Mer.

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Les courses « hispano-landaises » (1)

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Il s’agissait de courses mixtes, réunissant en un seul spectacle des courses espagnoles et des courses landaises. Elles naquirent dès le début des années 1860, et constituèrent en quelque sorte une réponse à la fameuse loi Grammont de 1850 interdisant la maltraitance des animaux domestiques.

La partie espagnole, souvent privée des picadors et ne comprenant qu’un simulacre de mise à mort, était constituée du jeu à la cape et à la muleta et de la pose de banderilles. La partie landaise ressemblait la plupart du temps aux courses « simples », et l’on n’y faisait courir généralement que du bétail nouveau, sans corde. Les spectateurs assistaient donc à deux courses distinctes, qui se déroulaient alternativement. Le paséo était fait en commun par les deux cuadrillas, l’espagnole marchant le plus souvent en tête, suivie de la landaise. Elles connurent beaucoup de succès dans les années 1880-1910. Il est très probable que la présence de l’alguazil dans quelques paséos de vraies courses landaises (comme nous l’avons montré sur plusieurs images) provient de ce genre de spectacles hispano-landais.

Voici le jugement un peu critique que Prosper Séris portait sur ce type de courses :

« Nous n’avons pas à cacher notre opinion personnelle sur les courses hispano-landaises aujourd’hui à la mode dans notre contrée. Elles nous laissent souvent très froid et nous avouons notre préférence marquée pour la vraie course landaise avec le meilleur bétail espagnol et, surtout, pour la course espagnole pure telle qu’il est interdit pour le moment de la voir ailleurs qu’en Espagne.

Nous devons pourtant reconnaître que la course hispano-landaise, espèce de carte forcée ou de moyen terme imposé, non pas par nos mœurs, mais par les mœurs du nord de la France, est un spectacle qui offre de l’attraction à beaucoup de landais et, surtout, aux étrangers qui viennent assister à nos fêtes.

Mais, si nous ne sommes pas partisan de ces courses pseudo-sérieuses, nous n’en sommes pas non plus les adversaires irréconciliables, car nous espérons que la faveur que le public leur accorde nous a chemine peu à peu vers le but que doivent poursuivre les vrais tauromaches : la course espagnole pure. »

Cette superbe planche, tirée du Bulletin de la Société de Borda de 1891, nous montre qu’à Dax, en 1890, on avait bravé (comme souvent dans l’histoire de la tauromachie locale) les interdits, et l’on aperçoit en fond d’image deux picadors fermant la marche… Les 3 agents municipaux, au premier plan, dont le porte-drapeau, sont superbes! Cette course se déroulait dans les anciennes arènes, en face de la Poste actuelle.

Après Dax, nous voici à Mont-de-Marsan, ici également avec des picadors et un alguazil. Par contre, le groupe des écarteurs (à gauche) et celui des matadors (à droite) défilent ce jour-là chacun en file indienne.

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Une meilleure vue de face…

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Même configuration de paséo à Casteljaloux qu’à Mont-de-Marsan. Landais et Espagnols défilent chacun dans leur rangée. Il semble donc qu’à cette époque, vers 1910, on ait abandonné la pratique « hiérarchisée » des années 1880-1890 où les matadors précédaient assez systématiquement les écarteurs.

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Voici maintenant l’une des cartes consacrées aux courses hispano-landaises de Pomarez par l’éditeur Vincent Lussan. L’originalité réside bien sûr dans l’organisation du paséo: deux matadors devant et de chaque côté des écarteurs, qui étaient bien plus nombreux…

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Mais parfois, on inversait, comme on le voit sur cette image où le photographe a déclenché un peu tardivement…

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Dans les anciennes arènes de Soustons, où l’alguazil précède les acteurs, les Landais semblent également encadrer les Provençaux. Nous avons la chance de savoir qui participe à ce superbe paseo : il s’agit pour les toréadors de la cuadrilla du fameux Pouly, et pour nos écarteurs de la non moins fameuse équipe de la ganaderia Passicos, de Dax.

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La photographie que je vous présente maintenant a été publiée dans le journal taurin espagnol Pan y Toros du 22 février 1897. Elle représente le paseo d’une course hispano-landaise dans les arènes (ancienne version) de Mont-de-Marsan. On y voit, de manière originale, défiler d’abord la cuadrilla espagnole, puis le quadrille de nos écarteurs landais.

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Par contre dans la piste, comme on peut le voir sur cette image d’une course à Soustons, tous les acteurs étaient parfois gentiment mêlés et les écarteurs ne dédaignaient pas parfois de prendre la cape, comme celui de dos au premier plan, au centre…

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