« Marche Cazérienne » vs « Carmen »

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C’est en 1906 que Fernand Tassine, chef de musique à Mont-de-Marsan, compose cette « Marche des écarteurs landais », intitulée La Cazérienne, en hommage au Docteur Elie Moringlane, le célèbre « Clic-Clac », alors médecin à Cazères-sur-l’Adour.

En 1908, le journal La Course landaise publiait sous le titre « Marche musicale tauromachique » une chronique qui avait pour but de sonner le glas de la musique de Carmen comme musique de paseo des courses landaises et de permettre à notre Cazérienne, créée en 1906, de s’imposer définitivement. Je ne résiste pas à l’envie de vous la faire connaître…
« Je nomme un chat un chat et Carmen une hérésie en course landaise.
Que pouvez-vous trouver de plus anormal et de plus grotesque que le défilé des écarteurs dans l’arène aux sons d’une marche espagnole ?
Figurez-vous une pièce de théâtre avec des bonshommes de 1830, costumés en Français de 1908 !
En sus de l’anomalie qu’il y a à entendre Carmen dans nos courses, le morceau comporte (au point de vue musical) quelques difficultés d’exécution, quelques intonations bizarres, qui ne sont pas à la portée des premiers trompétayres venus.
Il s’agissait donc de revenir à la pure couleur locale. Et nous y sommes …
En mai prochain, M. Dupeyrat, éditeur de musique à Savignac-d’Allemans (Dordogne), éditera la Marche tauromachique landaise, absolument destinée au paseo de nos écarteurs et intitulée : La Cazérienne. Paroles de M. Georges Rande, musique de M. Fernand Tassine.
Ce délicieux morceau, d’un goût exquis, de style svelte et harmonieux, a été orchestré pour musiques militaires, pianos, harmonies et fanfares.
Nous prions tous ceux qui auraient intérêt à se le procurer de s’adresser à M. Dupeyrat, éditeur, qui l’adressera franco, aux prix suivants : pour piano, 1fr.50 ; doublures, 0fr.10 ; conducteur, 0fr.25. »

Notre hymne de la course landaise a cependant mis un certain temps à le devenir véritablement et faillit même disparaître… Il subit en effet encore longtemps la concurrence d’une part de Carmen, et de l’autre de la Marseillaise, qu’on avait tendance à jouer systématiquement lorsque des autorités se trouvaient dans la tribune présidentielle…
Au lendemain de la reprise des courses après la Grande Guerre, le journal La Course landaise du 31 août 1919 se fait l’écho de cet état de fait :

« La Marche Cazérienne fut autrefois jouée par tous les orchestres de courses. Pourquoi l’a-t-on supprimée des répertoires ? Certes, l’air du Torero de Carmen est très entraînant, mais la Marche Cazérienne peut le remplacer quelquefois ou tout au moins être jouée immédiatement après Carmen. Que nos musiciens se le rappellent ! »

Voici le texte original de ce morceau d’anthologie…

Salut toréador dont l’œil jette la flamme
Vous qui d’un pas léger affrontez les taureaux
Avancez crânement la foule vous acclame
Venez vaincre la mort au bruit de nos bravos

J’admire votre port fait de mâle courage
Quand les bras grands ouverts et le jarret raidi
Vous attendez la bête écumante de rage
Et trompez son élan d’un coup de rein hardi

Des feintes des écarts le foule enthousiasmée
Mêle ses cris d’émoi aux cuivres en fureur
La brute plusieurs fois sur vous fait sa ruée
Sur place en tournoyant vous évitez sans peur

Vaincu le fauve tombe et comme une tempête
Des bravos crépitants courent sur les gradins
Et vous à petit pas mais surveillant la bête
Vous saluez très fier du front et des deux mains

Toutefois si grisé d’un regard de soubrette
Inconscient vous cherchez son sourire enchanteur
Ne vous oubliez pas le taureau qui vous guette
Aussi prompt que l’éclair peut vous frapper au cœur.

Combien de vos aînés, surpris en pleine gloire,
Sont retombés, sanglants sur les sables rougis :
Un œil noir provocant au seuil de la victoire,
Pour un instant fatal les avait éblouis.

Tauromaches landais, fervents des talenquères,
Vous qui, des toreros, incitez les ardeurs,
Venez, des beaux combats, nos arènes sont fières :
Ici sont les champions qui portent haut les cœurs.

Et voici maintenant la version gasconne (en graphie normalisée, établie par A.-M. Lailheugue, CPD-LCR) que Jean Barrère a composée sur cette même musique de Tassine, et destinée à rendre hommage à Auguste Camentron dit Mazzantini… Vous pouvez aussi l’écouter chantée par les enfants dans une course à Estang en 2015 : http://www.lamedungascon.fr/la-marche-cazerienne/.

A tu Mazzantini, aquera qu’ei la toa,
Se ne l’escartas pas seràs un pelheràs.
A tu Mazzantini, que’t la cau escartar
Totun se vòs pojar en haut de l’escalòt.
À toi Mazzantini, celle-là c’est la tienne,
Si tu ne l’écartes pas, tu seras un grand fainéant.
À toi Mazzantini, il faut que tu l’écartes
Si tu veux monter tout en haut de l’escalot.
Aqui l’òmi pitat au bèth miei de la pista,
Qu’ei a desemprovar 1o sòu a còps de pè.
Lavetz que shiula un còp e que hèi un gran saut.
Quan torna devarar, l’aujami qu’ei passat.
Voici l’homme dressé au beau milieu de la piste,
Il prépare son terrain en égalisant le sol avec ses pieds.
Alors il siffle un grand coup et il fait un grand saut.
Quand il retombe, le danger est passé,
La gent tot d’un còp muda
Comença de bohar, de’s lhevar, de gular,
Aquò qu’ei escartar.
Mazzantini tot fièr torna aperar la vaca
E en un gran balanç
Hèi detz escarts de mei,
Pojar, devarar, en dehens ! (bis)
Barar !
La vaca li voló plan esquiçar lus pantalons.
N’ac podó pas, Mazzantini qu’èra tròp bon.
Aquò ne hèi pas ren, qu’i tornarà.
La soa idea qu’ei deu tumar.
Si uei ne’u honha pas, qu‘i aurà doman entà’u gahar.
La foule tout à coup muette
Se met à souffler d’émotion, se lève, hurle,
Ça, c’est un écart !
Mazzantini très fier rappelle la vache
Et, continuant sur sa lancée,
Exécute dix écarts de plus.
Monter, descendre, en dedans !
Fermer !
La vache aurait bien voulu lui déchirer le pantalon.
Elle ne put pas, Mazzantini était trop bon.
Ça ne fait rien, elle recommencera.
Sa volonté est de le frapper.
Si elle ne l’attrape pas aujourd’hui, elle aura demain pour y arriver.

 

La chanson « Le Pantalon blanc » (suite)

L’ami André Diot, l’homme du centenaire de la guerre 14-18 à Saint-Sever, a retrouvé la partition de l’air sur lequel notre chanson du « Pantalon blanc » devait être chantée. L’autre ami Jean Barrère s’est proposé pour la travailler… On est impatient de voir le résultat!!! La voici en pdf :

Te-souviens-tu

La chanson « Le Pantalon blanc »

Dans son numéro du 27 octobre 1912, L’Echo de l’Arène, le concurrent de la Tuile, publie une chanson dédiée aux écarteurs: « Le Pantalon blanc ». Voici comment le journal la présente:

« La chanson des écarteurs. M. Raymond de Laborde, aficionado très distingué, vient de composer en l’honneur des écarteurs landais une chanson intitulée Le Pantalon blanc, que nous publions dans ce numéro et dont nos lecteurs auront la primeur.
Cette chanson plait par son tour pittoresque, par son allure dépourvue de « chiqué », par la verve amusante qui l’anime. Nous lui prédisons un succès complet.
Le Pantalon blanc va être populaire en Gascogne puisqu’il constituera, à n’en point douter, la chanson en quelque sorte officielle des écarteurs landais.
Nous remercions vivement au nom de l’Echo, des toreros et des aficionados, M. Raymond de Laborde, l’auteur charmant du Mari de la Descoubès, le fin littérateur si apprécié des dilettantes, notre collaborateur et notre ami. »

A première vue, ce morceau d’anthologie n’est cependant pas devenu l’hymne des écarteurs. Si l’on retrouvait l’air sur lequel on devait le chanter (« Dis-moi soldat, dis-moi t’en souviens-tu? »), peut-être pourrions-nous la proposer aux harmonies qui animent nos courses, ou au moins la mettre au répertoire de Jean Barrère, le ganadero de Buros….

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1893 : 10 écarteurs à l’exposition universelle de Chicago !!!

On lit dans L’Express du Midi du 24 avril 1893 :
« Mont-de-Marsan. Nos coureurs landais à Chicago. – Des pourparlers sont, paraît-il, engagés entre un impresario américain et nos écarteurs landais ; il ne s’agirait de rien moins que d’organiser à Chicago des courses qui ne seraient certainement pas l’une des moindres attractions de l’exposition qui va s’ouvrir dans cette ville. Dix écarteurs landais seraient engagés pour deux mois, au cas où les négociations aboutiraient. Paris a, en 1889, fait un chaleureux accueil à Buffalo-Bill et à ses Indiens ; nul doute que les Américains ne réservent à nos compatriotes une réception aussi enthousiaste. »

Malheureusement semble-t-il, ces négociations n’aboutirent pas et les Indiens de nos Landes ne purent pas initier les Américains à notre sport gascon. C’est bien dommage, car cette exposition universelle accueillit en 6 mois 27 millions de visiteurs !!! Le clou en fut le grande roue, la première au monde à être construite, qui mesurait 80 m. de hauteur et pouvait transporter 2 160 personnes (les nacelles comportaient 60 places chacune). Elle avait été conçue pour concurrencer la tour Eiffel… Mais notre tour nationale existe toujours alors que cette roue fut dépecée en 1906…

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Une course à Paris… en 1849

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Voici l’un des récits de courses les plus détaillés de la première partie du 19e siècle. Comme vous le verrez, l’auteur n’y parle pas de « course landaise », mais de « course basque ». Il est vrai que dans les premières décennies de ce siècle, et même si nous savons que, dans les années 1830-1840, des écarteurs landais commençaient à se faire un nom, comme les frères Darracq par exemple, les spectacles taurins étaient souvent assurés par des Navarrais, assimilés aux Basques. Ce fut notamment le cas à Mont-de-Marsan en 1845, lors de la venue du duc et de la duchesse de Nemours, et dont je vous ai déjà parlé (https://patrimoinecourselandaise.org/2018/04/07/une-course-a-mont-de-marsan-en-1845/), et l’on verra que le costume des acteurs ressemble terriblement à celui représenté sur la gravure montoise de 1845 qui illustre ce billet. La course dont il est question ici se passe quatre ans plus tard à l’hippodrome de Paris et constitue certainement le plus ancien spectacle tauromachique de la capitale. L’autorisation de l’organiser n’avait d’ailleurs pas été facile à obtenir, et il avait fallu mettre en avant l’argument (déjà…) de la tauromachie douce, opposée au spectacle sanglant qui avait cours de l’autre côté des Pyrénées. Le récit circonstancié de cette course, qui se déroula le 16 août 1849, est publié dans le feuilleton du journal La Presse du 20 août suivant. En voici quelques extraits :

« Le toril, composé de huit loges de planches décorées à la moresque, est placé sous l’orchestre : les taureaux y sont amenés dès le matin au petit jour, après l’opération difficile et périlleuse de l’emboulage, qu’on nous permette ce néologisme, mais nous ne connaissons pas de mot qui exprime l’action d’entourer de cuir en forme de boule les cornes d’un taureau.
L’arène est circonscrite hors du terrain des courses [de chevaux], dans le centre de la place où se font ordinairement les carrousels, les tournois et les grandes manœuvres équestres ; elle n’est pas composée de bois compacte, mais d’une claire-voie de madriers qui laissent pénétrer le regard tout en empêchant les bêtes de sortir. Des claies de même nature, posées de chaque côté du toril, conduisent l’animal dans le champ-clos ; ces barrières sont peintes en jaune et en blanc, comme le reste de l’Hippodrome. Çà et là des jours sont ménagés pour la retraite des hommes vivement pressés.
L’orchestre entonne un air espagnol, avec accompagnement de tambours de basque [= tambourins] et de castagnettes, le rideau de la coulisse s’écarte, et la quadrille s’avance vers le milieu de la place, la veste sur l’épaule, le béret sur la tête, bas blancs, culottes courtes et ceinture rouge, dans le léger et galant costume basque ; un seul des toreros a le gilet court et l’immense pantalon de velours des Catalans.
Arrivés dans l’enceinte où doit se passer la lutte, ils saluent, rangés tous sur la même ligne, puis jettent sur la barrière leur veste, qui pourrait les gêner, et se dispersent dans l’arène.
Tout autour, en dehors des barrières, se tiennent les servants de place de l’Hippodrome, armés de lances aiguillonnées pour repousser le taureau s’il essayait de franchir l’obstacle.
La porte d’une des loges est ouverte par le garçon de toril, qui s’abrite derrière le battant.
Le taureau sort secouant la tête, un peu contrarié par les boules auxquelles il n’est pas habitué, et fond sur le premier torero qu’il aperçoit. Le torero l’évite par un écart très bien fait et très rapide. […] Sept autres taureaux sont courus avec des chances diverses ; de beaux écarts sont exécutés ; des sauts à pieds joints par-dessus les cornes, des sauts de toute la longueur de la bête, pareils à ceux que l’on fait au cheval fondu, et très hardis, arrachent des applaudissements au public, qui jusque-là s’est montré un peu froid, s’attendant à quelque chose de plus poignant, de plus barbare, de plus périlleux, s’il faut le dire, car la commission dramatique a trop préjugé de sa sensibilité, et les exercices faits avec les cornes aiguës, comme aux répétitions, n’eussent pas été de trop pour l »mouvoir. On dirait vraiment quelquefois qu’il ne se rend pas compte du danger très réel encore, car le coup de tête d’un taureau, même désarmé, a une grande force, surtout lorsque l’animal est lancé, et, si l’on ne l’évite à temps, on court risque de contusions affreuses, de côtes enfoncées ou brisées, d’ecchymoses et de foulures.
Sans doute il y a loin de cette course basque aux brillantes descriptions de lord Byron, de Mérimée, d’Alexandre Dumas, et de celles où nous avons mis du moins de l’exactitude à défaut de talent, mais il faut songer que nos toreros français ne demanderaient pas mieux que de faire des choses aussi périlleuses que leurs confrères d’Espagne ; ce n’est ni le courage, ni l’adresse qui leur manquent, c’est la permission. »

Il faudra attendre encore 4 années supplémentaires avant que, dans les arènes de Saint-Esprit, qui était alors encore une commune landaise près de Bayonne, il faut le signaler, une première véritable corrida « à l’espagnole », avec mise à mort, puisse se donner en France.