1831 : naissance de la feinte

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Lorsque l’on évoque les grandes dates de la course landaise, il en est une qui est devenue incontournable. C’est celle de mai 1831, qui vit l’aîné des frères Darracq pratiquer dans les arènes de Laurède, et pour la première fois, ce qui allait devenir l’une des deux grandes figures de la course landaise : la feinte. Il y eut cependant deux théories quant à « l’invention » de cette figure.

La première, défendue par Dufourcet et Camiade, affirmait que les anciens écarteurs, antérieurs à Darracq, connaissaient déjà la feinte, et qu’elle était tout simplement l’équivalent du quiebro des matadors espagnols.

La seconde, qui prévalut, était soutenue par Séris et Clic-Clac. Pour eux, avant 1831, on ne faisait que planter des lances et surtout réaliser le « paré » : « Ce jeu qui n’était pas à la portée de tous les muscles, consistait à attendre la bête lancée à toute vitesse, à lui poser les mains sur le frontal et à détourner vivement sa tête en effaçant son corps » (Clic-Clac). Dans la feinte, au contraire, « le Landais attend de pied ferme l’arrivée de la vache, il feint de tomber d’un côté pour attirer la bête, et puis (…) il se relève brusquement, laissant le passage libre à l’animal » (id.). Et le revistero de conclure, dans un élan tout patriotique : « Feindre, c’est tromper ; on n’a donc nul besoin d’aller en Espagne chercher les moyens de feindre, surtout lorsque la peau est en jeu. Oui, la feinte tauromachique est vraiment française et les frères Darracq en sont les vrais inventeurs ».

Voici le récit que Prosper Séris fait de l’invention de la feinte par les frères Darracq. On y lit en particulier le rôle que Montfort-en-Chalosse (soyons un peu chauvin…) tint dans cette affaire. Nous avons laissé en italique les mots qui l’étaient dans l’édition originale.
« C’est à Laurède, près de Montfort, que la feinte fut inaugurée, en 1831, par deux écarteurs renommés : les frères Darracq. L’aîné des deux frères la pratiqua, pour la première fois, dans une course du mois de mai donnée avec le bétail de Lancien de Tilh. Les Montfortois qui, de tout temps, ont été particulièrement passionnés pour les courses, se rendirent en foule à Laurède et, comme les amateurs de cette commune, ils furent enthousiasmés de cette nouvelle manière d’écarter les taureaux.
La fête de Montfort ayant lieu quelques jours après, les Montfortois organisèrent de grandes courses, où se donnèrent rendez-vous tous les aficionados de la contrée, tous les écarteurs du département. Ces courses furent admirables et c’est sur la place de Montfort que la feinte, créée par Darracq aîné, reçut sa consécration officielle. »

Xavier de Cardaillac, de son côté, écrivait en parlant du célèbre Jean Chicoy : « S’il n’est pas, comme beaucoup le croient, le créateur de la feinte, il l’a perfectionnée, et personne avant et après lui ne pratiqua aussi bien cette variété de l’écart. Dans l’écart ordinaire l’homme se fend vers le côté où il veut faire passer la vache et, redressé, il pivote ensuite en avant, les reins creusés, sur le pied qui doit rester en place ; dans la feinte, en même temps que la jambe se fend, le buste se ploie ; ce mouvement compliqué rejette l’animal plus loin encore, mais dans cette double oscillation du torse l’homme prend plus de peine et perd plus de temps. » (Propos gascons, 1899, p. 126)

La maison Labouche, de Toulouse, qui a réalisé une série de 10 cartes sur les courses landaises, en a édité une particulièrement « pédagogique » sur ce sujet. Le commentaire s’adresse à certains « amateurs landais » qui ont dû disparaître maintenant… : « Un joli écart feinté. Beaucoup d’amateurs landais confondent l’écart et la feinte. Naturellement pour effectuer l’écart il faut faire la feinte qui appelle l’écart ». CQFD !

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Sur cette autre image due au grand éditeur landais Bernède, on voit bien Maxime déporter carrément tout son corps, mais surtout sa jambe gauche, vers l’intérieur, afin de réaliser certainement un bel écart extérieur.

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Le monument à Paul Daverat, à Laurède (40)

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© Région Nouvelle-Aquitaine, Inventaire général du patrimoine culturel – Maisonnave Jean-Philippe (monument) et Dubau Michel (détail)

Je vous ai proposé récemment une biographie du grand sauteur de Laurède. Vous pouvez aussi en trouver une très complète sur l’excellent site de Michel Puzos :

http://www.mpcourselandaise.com/pages/course-landaise-magazine/histoire/histoire-s-de-la-course-landaise.html

C’est en 1947 que Laurède, son village natal, fait ériger un monument commémoratif en l’honneur du grand écarteur-sauteur Paul Daverat. La réalisation en fut confiée à l’affichiste, caricaturiste mais aussi sculpteur Marcel Canguilhem, dit Cel-le-Gaucher (1895-1949), autre figure du monde de la course landaise. Celui-ci s’inspira de la plus connue des photographies de Daverat pour exécuter son bas-relief.

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Le service régional du Patrimoine et de l’Inventaire de Nouvelle-Aquitaine lui a consacré un dossier spécial, d’où sont tirées les photographies plus haut, et que vous pouvez retrouver à l’adresse : http://dossiers-inventaire.aquitaine.fr/dossier/monument-a-paul-daverat/03573236-c9c8-43cf-8c04-bde08aa632c9

Voici la description qui en est donnée:
Le monument est constitué d’une stèle rectangulaire en calcaire (?) peint polychrome ; l’effigie est sculptée dans la masse. Daverat y est figuré en pied, en costume de torero, la main droite posée sur la hanche ; la figure s’inscrit dans un arc « mozarabe ».

Il faut espérer que la fissure qu’on aperçoit sur la partie gauche de ce monument a fait (ou va faire très prochainement) l’objet d’une restauration…

 

 

Un grand parmi les grands : Daverat (Barthélemy, dit Paul)

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Paul Daverat fut à coup sûr l’une des grandes figures de notre course landaise du dernier quart du 19e siècle.

Voici la biographie qui est consacrée dans Mémoire des Landes à ce grand écarteur-sauteur, né à Laurède le 13 août 1855 et décédé dans ce même village chalossais le 13 janvier 1890.

« Fils d’agriculteur, préférant les escapades dans la nature aux salles de classe, il fut très tôt attiré par la course landaise, très en vogue à Laurède, à la suite des frères Darracq, maîtres dans l’art de la feinte. La course landaise avait alors un aspect beaucoup plus spontané que de nos jours. La réglementation en était plus vague. Paul Daverat est entré dans l’histoire pour ses dons exceptionnels de sauteur. Ils furent sans doute favorisés par cet apprentissage précoce mais surtout par des qualités physiques remarquables. Le 15 août 1877, il fit sensation dans les arènes de San-Sebastian en sautant sans élan et à pieds joints le quatrième toro de cette corrida. Sa célébrité devint alors internationale. Il fit plusieurs tournées en Espagne, lors de courses mixtes, espagnoles et landaises, encore en vigueur à la fin du XIXe siècle. Dans le midi de la France, on s’arrachait l’honneur de faire figurer son nom sur les affiches des fêtes. Avec la gloire lui vint la fortune (certains contrats atteignirent mille francs or !), mais il gaspilla tout cela dans une vie tapageuse et dissolue. Ses dons de sauteur lui servirent aussi à échapper aux gendarmes. Il reçut dans les arènes du Bouscat (Gironde) un coup de corne fatal qui termina sa carrière. Il perdit sa réputation et sa gloire. Sa carrière historique se terminait tristement. Il mourut à trente-quatre ans d’une grippe et fut enterré dans le boléro d’or que lui avait offert la reine d’Espagne. Laurède lui a élevé une statue en bas-relief, due au ciseau de Cel-le-Gaucher, en 1947. »
Notice de Jean-Pierre Laulom, extraite de Mémoire des Landes, Mont-de-Marsan, Ed. Comité d’études sur l’histoire et l’art de la Gascogne, 1991, p. 100-101

Paul Daverat, l’élégant…

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Cette superbe photographie illustre bien l’élégance légendaire de notre grand sauteur de Laurède. Elle apparaît semble-t-il pour la première fois sur la couverture de la célèbre Histoire des courses landaises de Clic-Clac, puis fut régulièrement reproduite dans la « Tuile ». Elle orne également l’article narrant l’exploit de Daverat devant un taureau à Saint-Sébastien en 1878, rédigé par l’un de ses amis et accompagnateurs, « Don Emilio » de Mugron (de son vrai nom Emile Pédedieu), et imprimé dans l’Almanach de la Course landaise pour 1912.

Paul Daverat, le séducteur…

Nous avions déjà noté que notre grand Paul Daverat avait une élégance naturelle exceptionnelle. Nous apprenons maintenant que c’était également un grand séducteur… En voici la preuve dans l’article que lui consacre Jean Fonclar dans la Revue générale : littéraire, politique et artistique, 5e a., 1887, p. 63-64.
« « Tout Paris » a battu des mains à l’agilité de Paul Daverat. Le grand écarteur landais a, sur les rives de l’Adour et tout alentour, une réputation prodigieuse. Point de ville, point de bourgade qui à ses « corridas de toros » ne veuille l’avoir. Et il n’est pas rare de voir fonctionner la « cuadrilla » Daverat et Hinx à côté des « cuadrillas Mazzantini », « Fernandez Valdemore » ou de quelque autre lourdaud espagnol que Madrid, Séville et Saint-Sébastien ont acclamé… de huées.
L’on ne sait peut-être pas que Daverat est un homme heureux… et à bonnes fortunes. Les femmes du pays sont fières de lui, et les dames, les grandes dames, ne dédaignent pas de lui sourire… au moins.
C’était en août dernier [1886], dans une petite ville d’eaux resserrée par les massifs pyrénéens. Les gradins des tribunes étaient ornés de quelques centaines de toilettes, et Daverat faisait merveille. Les bravos éclataient de toutes parts ; une jeune dame, « au teint bruni » d’Andalouse, se fait remarquer en lançant un cigare. Daverat se baisse et salue… presque avec élégance. Je sentis à côté de moi un petit trémoussement d’indignation ; je me retournai : c’était Rose, la jolie servante de l’hôtel, une Béarnaise de Coarraze, au fichu crânement enroulé sur le derrière de la tête, qui s’agitait. Je remarquai alors que les couleurs du fichu de Rosette et celles de la culotte de Daverat étaient d’un bleu d’une étrange ressemblance.
La fanfare municipale sonne quelques refrains discordants, et une autre vache (les Landais n’opèrent pas avec les taureaux !) fait son entrée dans le cirque : nouveaux sauts, nouveaux bravos. Cette fois, la dame jette son mouchoir, un mouchoir brodé ; Daverat s’incline. Je sens à côté de moi le trémoussement qui s’accentue, et les yeux de ma voisine brillent de courroux contre sa rivale à chapeau. Nouvelle course, nouveaux applaudissements. C’est le tour de l’éventail, et Daverat fait à l’inconnue sa plus gracieuse révérence. Aussitôt, d’un brusque mouvement, la fille de Béarn déroule son fichu et le lance au milieu du champ de courses… Je dois dire que Daverat ne bougea pas, et, de dépit, la petite Rosette quitta la place.
Le lendemain, la rumeur publique m’apporta que Daverat et la dame « au teint bruni » s’étaient rencontrés… par hasard, et qu’elle lui avait donné le bout des doigts à baiser… Simple bruit !
Huit jours après, nouvelle « corrida de toros ». La belle Espagnole n’était plus là, mais Rose s’y trouvait, en fraîche toilette, et cette fois sa main gantée faisait aller un bel éventail… que je reconnus. »

Une nécrologie…

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Parmi ses nécrologies, voici celle parue le 22 mars 1890 dans un périodique national, Le Monde illustré (34e a., n° 1721, , p. 192) accompagnée de la très belle gravure ci-dessus, réalisée d’après la photo que nous avons publiée plus haut.
« L’écarteur Paul Daverat.
L’un des héros des courses landaises, Paul Daverat, a succombé récemment. Doué d’un sang-froid extrême, en possession de tous les secrets de la course, il n’avait pas son pareil pour sauter par-dessus la bête, à pieds joints, et souvent les jambes nouées avec un mouchoir.
Daverat n’était pas seulement un sauteur hors ligne, il était encore un écarteur de premier ordre. Une impérieuse vocation l’avait poussé tout jeune dans la carrière qu’il avait embrassée, et dès le début il obtint des succès étourdissants. Dans les arènes des Landes, du Gers et des Basses-Pyrénées, il recueillit des applaudissements chaleureux.
En Espagne, à côté des plus célèbres, auprès de Frascuelo et de Lagartijo, il obtint, par l’originalité de son  jeu, les suffrages de l’assemblée. C’est aux arènes du boulevard Saint-Genès, fondées par lui à Bordeaux, l’été dernier, qu’il remporta ses derniers triomphes. A l’heure où la tauromachie commence à s’implanter dans les mœurs parisiennes, et où l’on prend goût à ce genre de spectacle, la physionomie du champion français intéressera particulièrement tous ceux qui sont friands des jeux périlleux de l’arène. »