« L’écarteur n’existe plus ! »

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C’est ce que les lecteurs de l’œuvre d’Eugène Ducom, Ménine. Scènes de la vie des Landes dans l’Armagnac noir, qui paraissait alors en feuilleton dans le Journal de Toulouse, purent lire le 8 octobre 1858. Ce texte fait notamment référence aux premières courses données par nos compatriotes à Paris l’année précédente, et que je vous ai déjà présentées (https://patrimoinecourselandaise.org/2016/02/21/les-premieres-courses-landaises-a-paris-1857/ )…
« L’écarteur, un autre type du pays, a aussi disparu ; l’industrialisme s’en est emparé. On l’a fait monter, lui et ses vaches, dans un wagon ; on l’a montré aux Parisiens, qui n’ont vu en lui qu’un comédien.
L’ancien écarteur du bon vieux temps ne ménageait pas sa vie et ne faisait pas de sa hardiesse métier et marchandise. Ce n’était pas un artiste sûr de ses feintes et les ayant étudiées depuis longtemps avec l’animal qui lui sert de compère. C’était un forgeron, un terrassier, jeune, vigoureux, bien découplé, qui pouvait dans l’arène, si la chance tournait contre lui, recevoir un coup de corne dans le corps et y laisser la vie. Mais quelle gloire s’il triomphait ! Pendant toute la saison des fêtes, les camarades de village l’escortaient partout où il y avait course, et si, pour se dérober à ces honneurs, il se cachait dans la foule, son nom mille fois répété le forçait à sortir de sa nonchalance et à prendre sa part de la gloire et des dangers.
L’écarteur n’existe plus. »

Heureusement, il existe encore 160 ans après, et souvent avec brio !

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La chanson « Le Pantalon blanc »

Dans son numéro du 27 octobre 1912, L’Echo de l’Arène, le concurrent de la Tuile, publie une chanson dédiée aux écarteurs: « Le Pantalon blanc ». Voici comment le journal la présente:

« La chanson des écarteurs. M. Raymond de Laborde, aficionado très distingué, vient de composer en l’honneur des écarteurs landais une chanson intitulée Le Pantalon blanc, que nous publions dans ce numéro et dont nos lecteurs auront la primeur.
Cette chanson plait par son tour pittoresque, par son allure dépourvue de « chiqué », par la verve amusante qui l’anime. Nous lui prédisons un succès complet.
Le Pantalon blanc va être populaire en Gascogne puisqu’il constituera, à n’en point douter, la chanson en quelque sorte officielle des écarteurs landais.
Nous remercions vivement au nom de l’Echo, des toreros et des aficionados, M. Raymond de Laborde, l’auteur charmant du Mari de la Descoubès, le fin littérateur si apprécié des dilettantes, notre collaborateur et notre ami. »

A première vue, ce morceau d’anthologie n’est cependant pas devenu l’hymne des écarteurs. Si l’on retrouvait l’air sur lequel on devait le chanter (« Dis-moi soldat, dis-moi t’en souviens-tu? »), peut-être pourrions-nous la proposer aux harmonies qui animent nos courses, ou au moins la mettre au répertoire de Jean Barrère, le ganadero de Buros….

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Un drin de lenga nòsta… : « Course lanusquete », de Simin Palay

SIMIN PALAY 2

Voici une poésie de Simin Palay, à gauche telle qu’elle fut publiée en 1913 et à droite remise en graphie normalisée grâce à Jean-Jacques Fénié, qui, de plus, a rajouté un glossaire explicatif. La traduction à la suite…

Course lanusquete

Corsa lanusqueta
(en grafia occitana normalizada deu gascon, per J.J. Fénié)

Un hourat qui s’oubrech. Ue bèstie qui hule. Un horat qui s’obreish. Ua bèstia qui  hula.
Un troupèt de gouyats qui’spie e puch recule Un tropèth de gojats qu’espia e puish recula
E s’estuye darré las taules. Un soulét E s’estuja darrèr las taulas. Un solet
Qui demoure au bèt miey, atendén lou houlét. Qui demora au bèth miei, atendent lo holet.
Un bèt-semblans ; un saut ; u’scart. Lou houlét passe. Un bèth-semblans ; un saut ; un (e)scart. Lo holet passa.
La hourre qu’aplaudech gouyat e baque a masse, La horra qu’aplaudeish gojat e vaca amassa,
E laguens lou berret, passeyat au roundéu, E laguens lo berret, passejat au rondèu,
Pèces e galabis semblen cade dou céu. Pèças e galabins semblan càder deu cèu.
Haut ! Un gn’aute au darré que s’abance s’ou sable. Haut ! Un aute au darrèr que s’avance suu sable
La baque, regahan soun galop esbariable La vaca, regahant son galop esvariable
Que houn sus et e l’espatèrne au miey dou sóu. Que hon sus eth e l’espatèrna au miei deu sòu.
E lou mounde que chiule e bourrugle a ha póu. E lo monde que shiula e borrugla a har paur.
Aquero qu’ey la course. Aquero qu’ey la bite : Aquerò, qu’ei la corsa. Aquerò, qu’ei la vita :
L’un que receb la tougne e l’aute que l’esbite. L’un que recev la tonha e l’aute que l’esvita.
Gaha lou boun moumén e lissa chens acroc, Gahar lo bon moment e lissar shens acròc,
Aquiu qu’ey la sapience e la force e… lou yoc. Aquiu qu’ei la sapiença e la fòrça e… lo jòc.
Se-b y tournat soubén, qu’ey fourtune et qu’ey glórie Se’v i tornatz sovent, qu’ei fortuna e qu’ei glòria
Permon l’aryent toustem qu’a seguit la bictórie. Per’mor l’argent tostemps qu’a seguit la victòria.
Sauts, escarts e semblans, tan miélhe au qui-us escad : Sauts, escarts e semblans, tan miélher au qui’us escad :
Lou mounde qu’ey toustém machant entau qui cad. Lo monde qu’ei tostemps maishant entau qui cad.

Simin Palay (1874-1965). Sarto, escrivan (poèta, romancièr, tetraire, jornalista) e lexicografe, autour deu « Diccionari deu bearnés e deu gascon modèrne ». Fondator, puish capdau (1923-1965) de l’Escòla Gaston Fèbus. Majorau deu Felibrige en 1920.

Explics.
Bèth-semblans : la finta, l’engana entà trompar, entà enganar la vaca.
Borruglar : cridar com ua vaca, un taure, un bueu.
Escàder (s’i escàder) ; reüssir, arribar a punt.
Holet : diminitiu de hòu (lengadocian fòl). Qu’es aquí lo bestiar o meilèu la vaca corsièra qui es comparada a un « vent holet ». Enqüèra que lo mot sii fèbla ; qu’es un vertadèir estorbilh qui va tot emportar suu son passatge, com un ciclòne.
Horat < vèrbe horar, forar (har un trauc) en lengadocian : trauc, obertura.
Horra : la multitud, las gents, lo monde qui espian la corsa suus gradins, darrèr las talanquèras, en haut de la pitrangla on es confortablament installada la jurada.
Hular : cargar (per ua vaca o un taur que’t vòu fóter un còp de còrna, ua cornada).
Per’mor : varianta grafica de per amor, sovent prononciat e escriut pr’amor dens las Lanas ; sinonime de percé que, a causa de
Tonha
 : lo còp, lo truc, la tumada ; tot aquò que hè bèras bonhas o bronhas ! Desrivat : tonhut (pensar a la cançon « A l’ombreta d’un pomèr / Joana se pausava / Un tonhut ven a passar / Qui la regardava »…).

Voici la traduction de cette poésie de Simin Palay. Elle est due à l’ami Jean-Jacques Fénié, que j’en profite pour remercier grandement ici pour l’enrichissement de cette rubrique gasconne.

Corsa lanusqueta

Course landaise

Un horat qui s’obreish. Ua bèstia qui hula. Un trou qui s’ouvre. Une bête qui fonce.
Un tropèth de gojats qu’espia e puish recula Un groupe de garçons qui regarde puis recule
E s’estuja darrèr las taulas. Un solet Et se cache derrière la talanquère. Un seul
Qui demora au bèth miei, atendent lo holet. Qui reste en plein milieu, attendant la tornade.
Un bèth-semblans ; un saut ; un (e)scart. Lo holet passa. Une feinte ; un saut ; un écart ; le bolide passe
La horra qu’aplaudeish gojat e vaca amassa, La foule applaudit de concert et la vache et le jeune homme
E laguens lo berret, passejat au rondèu, Et dans le béret qu’on fait circuler à la ronde,
Pèças e galabis semblan càder deu cèu. Pièces et sous paraissent tomber du ciel.
Haut ! Un aute au darrèr que s’avance suu sable. Allons ! Un autre, à la suite, s’avance sur le sable
La vaca, regahant sun galop esvariable La vache reprenant son galop invariable
Que hon sus eth e l’espatèrna au miei deu sòu Fond sur lui et le fait chuter au milieu, sur le sol
E lou mounde que chiule e bourrugle a ha póu. Et le monde siffle et hurle à faire peur.
Aquerò, qu’ei la corsa. Aquerò, qu’ei la vita: C’est ça, la course. C’est ça, la vie :
L’un que recev la tonha e l’aute que l’esvita. L’un reçoit le coup et l’autre l’évite.
Gahar lo bon moment e lissar shens acròc, Saisir le bon moment et passer sans accroc,
Aquiu qu’ei la sapiença e la fòrça e… lo jòc. Voilà le savoir-faire, et la force, et… le jeu.
Se’v i tornatz sovent, qu’ei fortuna e qu’ei glòria. Si vous y parvenez souvent, c’est la fortune et la gloire
Per’mor l’argent tostemps qu’a seguit la victòria. Car l’argent toujours a suivi la victoire.
Sauts, escarts e semblans, tan miélher au qui’us escad : Sauts, écarts et feintes, tant mieux pour celui qui les réussit :
Lo monde qu’ei tostemps maishant entau qui cad. Le monde est toujours impitoyable pour celui qui tombe.

 

Caprice de femme, caprice de vache…

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La course landaise va parfois se nicher dans des recoins inattendus… Voici où je l’ai découverte, dans un ouvrage consacré en 1900 à la psychologie féminine, et même plus précisément dans un chapitre intitulé « Formes de la volonté féminine : le caprice » !

« Mais le caprice leur est naturel, et il serait faux de se figurer qu’il est de leur part systématique et voulu. Non, c’est très innocemment que leur vouloir est plein de surprises et d’imprévu. Un écarteur landais, expliquant à un curieux les courses landaises, s’écriait : « Un taureau, voyez-vous, est moins dangereux : on finit toujours par le connaître… Une vache, on ne la connaît jamais. » Peut-être n’était-ce qu’une malice. Mais si le fait est vrai, disons que la vache landaise n’est pas plus à blâmer pour ses coups que la jolie femme pour ses caprices ; la cause est, de part et d’autre, la soudaineté des impressions. »

Je vous en laisse juge !

Psychologie de la femme : études de psychologie féminine / par Henri Marion,… ; [publié par M. A. Darlu], Paris, A. Colin, 1900, p. 232-233