Technique : l’écart

Après la feinte, dont je vous ai déjà parlé (https://patrimoinecourselandaise.org/2019/02/17/1831-naissance-de-la-feinte/), voici un petit historique de l’écart.

Si l’on en croit la tradition, c’est l’écarteur Cizos qui, en 1850, « inventa » l’écart. Un demi-siècle plus tard, Clic-Clac distingue « l’écart de pied ferme », « l’écart serré ou l’écart près », « l’écart, saut et feinte », « l’écart allongé ou écart loin », « l’écart coupé » et enfin « l’écart en marche ».

Dans le premier, « l’homme est immobile dans un endroit de l’arène ; il incite la bête par la voix ou le sifflet, les bras sont élevés verticalement au-dessus de la tête, dans le but de présenter moins de surface : quand l’animal qui l’a aperçu est parti sur lui et qu’il se trouve à une certaine distance, l’écarteur fait un petit saut qui a pour but d’accélérer sa vitesse et lorsqu’il donne le coup de tête, il se jette de côté en se tournant vivement. »

Pour le deuxième, « le roi des toreros landais est sans contredit Bras-de-Fer (…). [Il ] se place devant le fauve, l’appelle et au moment où la bête humilie prête à lui enfoncer les cornes dans le ventre, il tourne vivement et sort sain et sauf d’une rencontre où tout le monde croyait qu’il allait laisser la vie. »

Voici d’ailleurs 2 écarts de Bras-de-Fer réalisés au plus près dans les anciennes arènes d’Eauze, l’un sur la corne droite, l’autre sur la gauche.

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« L’écart, saut et feinte », qualifié par Clic-Clac de « suerte fantaisiste », était également une spécialité de Bras-de-Fer. Voilà quelle était sa description : « l’écarteur se place franchement face à la vache comme pour l’écart, fait un petit saut et donne la suerte en feintant ».

Quant à « l’écart allongé ou écart loin », il était pratiqué de main de maître par Candau. Il consistait en ceci : « comme dans l’écart serré, l’homme se place franchement face à l’animal, les bras relevés le long de la tête et incite de la voix ou du sifflet ; il se met en action lorsque la vache est encore à trois ou quatre mètres et lui indique assez franchement de quel côté il veut faire la sortie. » Et je suis d’accord avec l’analyse du revistero : « Pour moi, cet écart est plus dangereux que l’écart serré, du moins avec une bête sérieuse et à formidable coup de tête ramasseur. C’est dans ce cas que la corde est utile »…

Voici Candau en pleine action dans les anciennes arènes de Mont-de-Marsan, sur une carte du grand photographe-éditeur de Morcenx, Bernède. Et l’on voit que la corde avait son importance !

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« L’écart coupé » n’était pas, pour les puristes, un véritable écart, bien que pratiqué par presque tous les écarteurs. Dans ce type de figure, « l’écarteur s’élance sur l’animal, l’aborde par côté et provoque un coup de tête qu’il évite par une légère inclinaison du corps ». Clic-Clac note avec mépris : « Passe sans grand brio et presque sans mérite ». On reconnaît là tout simplement le type d’écarts réalisés encore aujourd’hui par les recortadores espagnols et qui ne sont pas sans donner souvent quelques frissons sur les gradins.

Quant à l’ultime type d’écart, « l’écart en marche », comme la feinte du même genre, il « consiste à avancer vers la vache qui, elle aussi, court à la rencontre de l’écarteur ». Une note manuscrite au crayon dans l’exemplaire de l’Histoire des courses landaises que je possède précise :  » Cette suerte était spéciale à Baillet, blessé mortellement à Bazas le 24 juin 1897″.

C’est peut-être la première de ces figures que dessine l’écarteur anonyme ci-dessous.

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L’un des écarts les plus prisés des coursayres est certainement celui qui est réalisé avec les bras croisés sur la poitrine. C’est celui qu’affectionnait entre autres le chef Jean-Marc Lalanne, qui le dessinait d’ailleurs souvent avec les pieds sur le mouchoir, pour bien marquer qu’il ne perdait pas de terrain sur la coursière.
Sur l’image ci-dessus, prise dans les arènes du Bouscat entre les deux guerres, on voit que l’écarteur fait un grand saut d’appel tout en gardant ses bras croisés.

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Nous avons encore le plaisir de voir de temps en temps dans nos courses l’écart réalisé les pieds sur le mouchoir. A l’époque de Gaston Rémy, il se réalisait également les pieds sur le béret, à l’image de celui de Moréno représenté ici.

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L’écart le plus délicat, celui dans lequel l’homme n’est plus protégé, est l’écart intérieur, en gascon « en dehens » (en dedans), réalisé du côté de la corde. Il sert avant tout à « redresser » la vache afin de pouvoir reprendre des séries d’écarts extérieurs. En voici un bel exemple réalisé par Suisse et croqué par Gaston Rémy. Il est aujourd’hui pointé plus cher que l’écart classique extérieur, ce qui a pour conséquence que certains acteurs ont tendance à en user et abuser dans les concours. Ils devraient parfois se rappeler l’adage que l’on écrivait régulièrement sur le tableau de nos écoles primaires à l’époque (reculée) où nous avions des leçons de morale : « L’excès en tout est un défaut »…

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